Gilles Deleuze et Félix Guattari passent encore, dans de nombreux milieux, pour des penseurs ultra-subversifs. En vérité, ils représentent un cas d'école pour étudier le passage du libertaire au libéral entre les années 1970 et 1990. Indépendamment de ce qu'ont pu être leurs intentions subjectives, ils ont représenté comme peu d'autres une critique aux allures très radicales, qui allait bien au-delà de la politique traditionnelle et semblait "en phase" avec les aspirations les plus profondes du post-1968, mais qui se trouve finalement avoir été une préparation au "nouvel esprit du capitalisme", au capitalisme postmoderne.

Second Life - le jeu du novhomme capitaliste par excellence - est une réalisation paroxystique des désirs du sujet postmoderne, qui étaient réputés transgressifs à l'époque de l'Anti-Oedipe: le nomadisme permanent, l'annulation de l'espace et le déplacement immédiat vers tout lieu, la possibilité de choisir à tout moment son sexe, l'abolition de l'âge et du vieillissement, l'immortalité et l'invulnérabilité, l'absence de besoins physiques gênants (manger, boire, dormir), l’inexistence d'activités pénibles, l'ambiance de fête et de vacances permanentes...

Anselm Jappe, Common decency ou corporatisme ? Observations sur l’œuvre de Jean-Claude Michéa, Mafia et comportements mafieux, Illusio n°6/7.