Non moins grave est la question de la falsification, comme procédé normal de l’industrie moderne. Elle a enrichi depuis un siècle beaucoup d’industriels ; elle a profité surtout aux Allemands, qui s’en sont servis avec leur énergie et leur audace habituelles ; mais elle est un des procédés du commerce et de l’industrie modernes les plus dangereux. Comme le dumping détruit dans les esprits la notion du juste prix des choses, ces falsifications rendent de plus en plus les hommes incapables de distinguer ce qui est bon de ce qui est mauvais ou médiocre ; c’est-à-dire qu’elles étouffent dans notre civilisation le sens de la qualité. Or, à mesure qu’on étouffe dans les hommes le sens de la qualité, la lutte commerciale et industrielle doit nécessairement se développer dans le sens de la quantité. L’industrie qui versera sur le monde et saura lui imposer une abondance plus grande de produits plus mauvais sera victorieuse. Mais quand les hommes s’efforcent non pas de fabriquer et de faire admirer des objets d’une certaine qualité, mais de produire et de vendre la plus grande quantité d’objets dans le temps le plus court, c’est une victoire sur la matière, sur le temps et sur l’espace qu’ils visent, et non un raffinement de leurs aptitudes et capacités. C’est donc un idéal de puissance et non un idéal de perfection qu’ils poursuivent. Il est ainsi possible de reconstituer la chaîne qui relie ces procédés de falsification, reconnus comme légitimes par l’industrie moderne, à la crise actuelle. Les procédés de falsification étouffent le sens de la qualité ; plus le sens de la qualité devient obtus dans une époque, plus l’industrie et le commerce se trouvent dans la nécessité de lutter pour la quantité, c’est-à-dire d’augmenter indéfiniment la production.

Guglielmo Ferrero, Génie latin et germanisme,1917.