Un homme arrive un jour à la porte d'un monastère, raconte un vieux livre chinois, il fait comprendre qu'il veut y vivre, s'installe dans les jardins. De sa vie il ne prononce une parole. Mais sa sainteté est telle que des foules accourent à lui et le vénèrent. Vient la dernière maladie. Des fidèles à son chevet le supplient de leur accorder un mot, un seul mot, qu'ils puissent emporter en héritage dans leur coeur. Alors l’ascète se lève, dit "Feu !", retombe : à l'instant le monastère et le village entier s'enflamment comme une torche. Voilà les manières silencieuses de la force. Nous avons vu récemment dans l'Inde, le prestige spirituel d'un homme brisé des préjugés que des siècles d'histoire et de prophètes n'avaient pu réussir à ébranler. Il faut avoir ces pensées présentes à l'esprit pour nous garder des prestiges du nombre, de l'agitation et des moyens riches. et de toutes ces petites naïvetés sur la violence qui germent sur la décomposition de la véritable spiritualité.

Emmanuel Mounier, Éloge de la force, Esprit, février 1933.