Rien d’important, écrivait Jacques Ellul au lendemain du 10 mai 1981. Nous ne saurions mieux dire que le maître en la circonstance – à condition d’ailleurs que nous considérions qu’il y ait réellement une circonstance. Peuple de France, où est ta victoire ? Tu as remplacé, car tu n’avais pas le choix, la droite bling-bling par la gauche Laurent . Tu as suivi, non comme un seul homme, mais comme une demi-nation, les bobos des arrondissements parisiens à un chiffre dans leur engouement subi pour un héros à lunettes dont hier ils ignoraient qu’il fût encore vivant. Car tu n’avais pas le choix. Tu as balayé le Falstaff de Neuilly-sur-Seine en qui avant-hier tu avais mis ta foi, non comme un seul homme mais comme une demi-nation, pour le remplacer par le Faust de Tulle. Car tu n’avais pas le choix. Un dimanche de mai à 20h, une seconde ou deux, tu as cessé de respirer comme au coup de sifflet d’une finale de coupe du monde. Le lendemain, tu t’es réveillé avec une gueule qui n’était même pas de bois, mais de six pieds de long. La gueule du désespéré, seulement soulagé d’avoir réchappé au pire. La gueule du suicidaire amateur qui s’est encore raté.

Rien d’important, non, ni même de grave dans cette élection de démocratie endormie, où une bourgeoisie prête son argenterie à l’autre pour cinq ou dix ans, et fait ses recommandations pour l’entretien du pékinois en son absence. Rien de grave dans cette République d’échange d’appartement et de covoiturage, où le sénevé appelle la moutarde. Non, rien de grave, non rien d’important. François Hollande diminue son allocation d’Elyséen provisoire et encadre les salaires des patrons d’entreprise à capitaux publics. Fort bien. Nous l’en félicitons. Gageons que ces premiers décrets resteront comme l’acte le plus important de son quinquennat socialiste.

Car sinon, rien de grave, rien d’important. Les ours savants de la sociétale-démocratie arrangeront leurs petits désirs comme ils le pourront avec le réel. Quelques projets progressistes, certes ajouteront, s’ils ont la force de les défendre et de les faire passer, un peu plus d’absurde à ce pays, à cette civilisation. Rien de grave, rien d’important. Nous leur conseillons pourtant de légiférer le plus tard possible, sous peine de se retrouver dépourvus totalement d’utopie quand la bise sera venue.

Car pour l’instant, rien de grave, rien d’important, mais la bise ne tardera plus. Si je n’arrive pas à comprendre ce que peut être la France d’après, je parviens pourtant sans trop de peine à imaginer ce qu’il y aura après la France. Ce sera quand Robert, son fils Kevin et son petit-fils Kenzo de Chon-sur-Marne se réveilleront un matin dans la peau d’Anders Breivik. Ce sera quand Ahmed, son fils Mourad et son petit-fils Bilal de Rancy-sur-Seine se réveilleront un matin dans la tête de Mohamed Merah. Ce sera quand les huit enfants de mes voisins maliens du dessus, lassés de pisser dans l’ascenseur et d’empêcher ma femme de dormir la nuit, pour faire payer à leur père son absence et à leur mère son absence de français, se battront avec les cinq fils de mes voisins sénégalais du bout du couloir pour le contrôle du hall de l’immeuble. Ce sera quand mes clodos du lundi n’auront plus le choix qu’entre le dépôt de Nanterre et la soupe à la grimace des Restos du cœur parce qu’il n’y aura plus d’association confessionnelle pour s’occuper d’eux. Ce sera quand l’école jacobine à force de se miner par idéologie s’effondrera sur elle-même. Ce sera quand tous les officiers français seront partis dans le privé avant trente ans. Ce sera quand le Qatar aura racheté France 2 et TF1, en application de l’accord pétrole contre couverture. Ce sera quand le Chancelier du nouveau Reich qui ne dit pas son nom gèlera le SMIC au nom de la rationalité budgétaire. Ce sera quand il y aura plus de Grecs que de Roms à mendier dans les rues de Panam. Ce sera quand la Provence parlera majoritairement espagnol. Ce sera quand l’Alsace-Moselle, en vertu du Concordat, appliquera la charia. Ce sera quand la Nièvre sera couverte de mines de charbon à ciel ouvert et la Drôme un gisement de gaz de schiste. Ce sera quand mes enfants se feront jeter des pierres parce qu’ils refuseront d’être bi. Ce sera aussi quand Amazon sera le dernier libraire. Ce sera quand Tintin et les Picaros sera interdit aux moins de 18 ans. Ce sera quand Eric Zemmour se retirera à Sainte-Hélène avec un bicorne sur la tête pour dicter ses Mémoires. Ce sera quand l’objection de croissance ne sera plus une opinion mais un délit. Ce sera quand mémé devra choisir entre la diminution immédiate de sa pension et la programmation à moyen-terme de sa mort dans la dignité. Ce sera quand des médecins à coup d’injections redresseront les comptes publics. Ce sera quand les LGBT seront les seuls mariés de France parce que tous les catholiques auront divorcé. Ce seront mille autres misères, petites ou grandes, que le lecteur imagine mieux que moi.

Ce sera surtout le constat définitif que le politique n’y pouvait rien. Que tout cela n’était rien de grave, rien d’important.

Jacques de Guillebon

SOURCE : Causeur N. 47 Mai 2012

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