Auto-métro, boulot, dodo, voilà le cadre manifeste de l'existence parisienne, de l'existence citadine et bientôt de l'existence en tout lieu. Une civilisation est d'abord un univers, un univers que l'homme se donne, se bâtit ; l'univers de multiples communications, celles de l'homme avec l'homme, celles de l'homme à la nature.

Et lorsque le communications quotidiennes sont brisées, n'ont plus cours, nous sommes alors privés d'autrui et de l'univers. Tel un cadavre vivant, nous tournons sur nous même.

La rue est morte avec le bonheur d'y être : car, quelles joies nous procureraient donc le bruit des moteurs, les vapeurs d’essence, des publicités agressives, le contact rapace ou mécanique... Quelle sensibilité, quelle qualité humaine, quel discours d'amis trouverions-nous dans un vacarme froid et un air dont nous toussons.

Ainsi Paris meurt faute de lieux; de quais ou de rues où l'on puisse encore aimer se tenir, passer. La peu qui restait de nos cours et ruelles est au reste détruit. A leur place s'installe l'urbanisme de la chasse d'eau, les sinistres grands ensembles ; la place de village comme la rue y sont absentes : qui donc flâne ou retrouve son voisin dans le vide, le vide qui sépare les tours d'habitations, ces prétendus espaces verts...

D'une cité morte, puisque chacun y est enfermé en un domicile cimetière, nous sortons pour grimper dans un cercueil en folie, la voiture, et nous nous dirigeons vers la prison de la productivité ; esclave d'un progrès dont le fruit est la perte de nos corps, la solitude dans nos relations ou leur perversité blêmissante.

Les campagnes se dépeuplent afin de grossir de fausses villes ; et qui donc nous propose de sinistres horizons ; non point certes le peuple de Paris - il est une des victimes - mais des maquignons de toutes sortes.

Paris ne doit pas plus s'adapter aux voitures que le touriste se garde de fouler l'herbe des foins.

Robert Jaulin, La décivilisation généralisée in De l'ethnocide, U.G.E (10/18), 1972.