Il ne saurait être question pour nous d'ironiser sur la part d'illusion qu'ont souvent entretenue sur leur propre action les révolutionnaires du passé : laissons cette commodité au genre de réalistes, qui, quant à eux, trouvent plus directement leurs consolations et ce qu'ils appellent leurs plaisirs à l'intérieur de la bassesse présente, bien adapté, il est vrai, à leur minuscule appétit. Non seulement on préférera avoir tort avec ceux qui croyaient être les derniers à endurer la mutilation de la vie, et ne pouvaient concevoir que se perpétue plus longtemps l'accumulation de la dépossession, plutôt que d'avoir raison avec leurs vainqueurs, ou les héritiers de leurs vainqueurs - mais surtout, les raisons les mieux fondées, parce que les moins "scientifiques", de ces révoltés vaincus sont aujourd'hui les plus concrètes et les plus pressantes qui soient. Pour quiconque ne s'identifie pas envers et contre tout aux forces de l'inertie dévalant toujours plus vite la pente de l'horreur programmée, ces raisons sont aussi tangibles que le macabre projet de rendre irréversible le résultat du développement prolifique des marchandises et, parodie sinistre du projet révolutionnaire d'un homme total, de suréquiper encore l'infirmité des individus, de les réduire définitivement à l'état de pantins convulsifs, agités par leurs innombrables prothèse marchandes, au rythme d'une machinerie télématique omniprésente. Et ces raisons vaincues continuent donc à juger l'ensemble du développement ultérieur, pour que nous puissions le condamner en toute connaissance de cause.

Encyclopédie des Nuisances, Discours Préliminaire, novembre 1984.