Les communistes — qu’ils appartiennent à l’URSS, à la RDA ou à tout autre pays — ont toujours considéré les anarchistes, ou les individus suspectés d’anarchisme, comme leurs pires ennemis. Contre eux, tout est licite : la duplicité comme l’arbitraire policier. Le cas de Zenzl Mühsam, femme d’Erich Mühsam, est particulièrement édifiant. Erich mourut le 10 juillet 1934, assassiné dans le camp de concentration de Sachsenhausen. Sa veuve se réfugia aussitôt le 16 juillet en Tchécoslovaquie. Elle n’avait appartenu à aucune organisation anarchiste, mais jugeait de son devoir de faire connaître au monde le sort tragique de son mari et, si possible, de faire éditer ses œuvres, et les nombreux manuscrits encore inédits. Elle écrivit une brochure « Le calvaire d’Erich Mühsam », voulut en confier la publication aux syndicalistes hollandais, mais — n’ayant pas eu de réponse rapide — elle eut le tort d’accepter la proposition de la vieille militante bolchevique Helena Stassova : éditer la brochure à Moscou. Comme Zensl l’écrivit à Rocker, ce fut avec répugnance, car elle n’avait en aucun cas l’intention d’entrer dans le parti communiste ! Stassova l’invita ensuite à venir se reposer quelques mois en URSS. Zensl pensa naïvement que là-bas elle serait indépendante, trouverait quelques ressources de l’édition des œuvres d’Erich et n’aurait aucune obligation à l’égard des autorités de l’URSS. Cependant on lui fit exposer dans quelques réunions les conditions atroces des camps de concentration nazis. Et brusquement, le 13 avril 1936, elle fut arrêtée. Rocker alerta différents organismes qui s’occupaient des prisonniers politiques. André Gide obtint sa mise en liberté vers août 1937. Elle demanda l’autorisation de partir pour les États-Unis… et fut arrêtée en pleine nuit (1939) et condamnée à huit ans de travaux forcés. Après la prison de Butirki (Moscou), on la déporta au camp de Karaganda. Elle en revint en 1947 couverte d’ulcères. Les anarchistes allemands essayèrent d’obtenir des renseignements sur son sort passé et présent. On ne tira du SED et de Wilhelm Pieck que des réponses dilatoires ou des témoignages fabriqués de toute pièce. Seulement en 1955, Zensl fut autorisée à se fixer dans Berlin-Est et ne put entrer en relation avec Rocker, ni avec les syndicalistes suédois. Coupée du reste du monde, elle mourut en RDA dans le courant de 1962. De 1934 à 1962 ! Un calvaire de 28 ans pour avoir eu la faiblesse de faire un jour confiance aux bolcheviks !

Jean Barrué, L’anarchisme en Allemagne de l’Est (1945 — 1955), Iztok n°2, septembre 1980.