"Si l’assistance aux lépreux est tellement chère au cœur des missionnaires catholiques, c’est parce qu’aucune autre oeuvre n’exige comme elle un esprit de sacrifice. Celle-ci exige l’idéal le plus élevé, l’abnégation la plus parfaite. Le monde politique et journalistique ne connaît pas de héros dont il peut se glorifier et qui soit comparable au P. Damien de Molokaï. L’Eglise catholique compte parmi les siens des milliers d’hommes qui, à son exemple, ont sacrifié leur vie au service des lépreux. Il vaudrait la peine de rechercher à quelle source s’alimente un tel héroïsme."

Gandhi

Pourquoi lire des vies de saints ? Pourquoi éditer encore des vies saintes ? D’abord parce que le Père Damien, s’il vécut et mourut au 19e siècle, est un saint récent, canonisé par Benoît XVI en 2009. Ensuite, parce que comme nous le rappelle Jacques de Guillebon, « ces vies sont des découvertes d’autres mondes intérieurs qui, plus même que les relations d’explorateurs partis aux confins de la civilisation, dévoilent des horizons infinis que borne seul l’amour de Dieu. »

Joseph De Veuster naît donc dans les Flandres belges, paysannes et catholiques, en 1840. La même année, la lèpre, apportée par les bateaux étrangers, fait son apparition dans les îles Sandwich, que l’on appellera plus tard Hawaï. D’une force physique et morale étonnantes, cet hercule du Nord est tôt pris, comme plusieurs des aînés de la fratrie, par la vocation religieuse. A la suite de son grand-frère, il entre à 19 ans dans la congrégation des Sacrés-Cœurs de Picpus, fondée en 1792 par le prêtre réfractaire Pierre Coudrin, le « maquisard de Dieu », alors âgé de 24 ans à peine ! « Dans la vie de Jésus, nous trouvons tout : sa naissance, sa vie, sa mort, voilà notre Règle ! »

A 23 ans, encore séminariste, il est envoyé en mission aux îles Sandwich : tout à la joie de l’aventure grandiose, il ignore encore qu’il vient d’obtenir son visa pour le martyre. Il quitte définitivement sa patrie et le 19 mars 1864, pour la Saint-Joseph, débarque dans le port d’Honolulu. Deux mois plus tard, il est ordonné prêtre dans la cathédrale de la ville. Il est bientôt envoyé dans son territoire de mission, vaste district sauvage et isolé, où il ne dispose même pas d’une habitation. Neuf ans durant, il y mène en solitaire la rude vie de « prêtre-missionnaire », toujours par monts et par vaux sur une terre volcanique parsemée de villages primitifs, où il va à cheval ou à pied, dormant dans les huttes de Hawaïens et partageant leurs repas. Se faisant tout à tous, il bâtit des chapelles, des églises, ouvre des écoles, et avant tout prêche l’Evangile et prend soin de ses ouailles. La tâche l’épuise, il va de l’avant, entièrement remis à la volonté de Dieu.

C’est ainsi qu’en 1873, à 33 ans, sans l’avoir prévu, il débarque à la léproserie de l’île de Molokaï, isolée du reste du monde par la mer et de gigantesques falaises, sans autre bagage que son bréviaire. Pour toujours. La même année, le bacille de la lèpre a été isolé, mais la maladie reste incurable. Sachant le sort qui l’attend à vivre au milieu des lépreux, Damien partage leur vie et se lance dans la tâche avec son ardeur usuelle : pendant seize ans, il se dépense sans compter et fait de ce « pourrissoir » pour morts vivants, une vivante communauté. Il construit église, maisons, hôpital, orphelinat, route, conduite d’eau, organise la vie sociale, promeut l’agriculture, l’élevage de chevaux, et surtout répand la joie de l’Evangile dans ce mouroir. Reclus à vie, il se confesse depuis une barque à un confrère debout sur le seul bateau qui assure une liaison avec la presqu’île. Il devient le « père des lépreux » et se dit « le missionnaire le plus heureux du monde ».

S’étant fait « lépreux parmi les lépreux » jusqu’au bout, il contracte la terrible maladie dont il meurt en 1885. L’ « Apôtre des lépreux » aura marqué son siècle et le suivant, et l’engagement notamment de Gandhi, Raoul Follereau et Mère Teresa.

SOURCE : Jacques de Guillebon, Damien de Molokaï, le saint lépreux, « Saint pour tous » / L’œuvre, 2012, 125 p., 17 €