Est-ce la joie qui s’épanche au dehors ou celle qui se concentre au dedans ? Est-ce que la « joie de vivre », c’est le bruit, le chahut, le rire sans. mesure, la chanson grossière, la plaisanterie plus ou moins grasse, les trémoussements grotesques, la soûlerie, le tapage, les vociférations ? Ou je ne sais quelle manifestation criarde ou démonstration intempestive ? Est-ce que la joie de vivre, ce ne serait pas cette sensation qui vous conquiert tout entier et qui vous enlève et vous entraîne et vous transporte lorsque, par exemple, vous vous trouvez en face d’un être que vous aimez ou encore quand vous êtes en présence d’une réalisation ou d’un spectacle naturel ou artificiel, qui s’empare de vous, qui vous saisit de la racine des cheveux à la plante des pieds ?

En présence de l’être que vous chérissez, de la mer qui s’étend sans fin à l’horizon, de ces « pics sourcilleux » qui semblent vouloir crever la nue, de ces troncs qui montent si droit et si haut qu’on dirait qu’ils vont atteindre le ciel, de tel mécanisme si bien conçu et remplissant admirablement son but — en présence de tant de merveilleuses présences — vous ne poussez pas de cris, vous ne chantez pas, vous débordez d’une telle allégresse que vous restez silencieux et concentrés. Vous vivez ces instants-là — au moins certains d’entre eux — avec une telle intensité qu’instinctivement vous vous taisez, ravis par l’admiration. Je crains que la joie qui ne sait que s’extérioriser tumultueusement s’avère tout simplement façon de s’étourdir. Quoiqu’il en soit, il est une joie intérieure et profonde qui ne s’affiche pas dans les rues et ne se crie pas sur les toits, qui vaut bien la joie qui s’étale dans les carrefours et se prostitue à tout venant…



Emile Armand