"Lorsque, visitant un musée, on passe des salles des primitifs à celles de l'art renaissant, dont la science et l'habileté matérielles sont bien plus considérables, le pied fait un pas sur le parquet, mais l'âme fait une chute à pic. Elle se promenait sur les collines éternelles, elle se trouve sur le plancher d'un théâtre, d'ailleurs magnifique. Au xvr siècle le mensonge s'installe en maître dans la peinture, qui s'est mise à aimer la science pour elle-même, et qui veut donner l’illusion de la nature, et nous faire croire que devant un tableau nous sommes devant la scène ou le sujet peints, non devant un tableau. Les grands classiques ont réussi à purifier l'art de ce mensonge ; le réalisme, et en un sens l'impressionnisme, s'y sont complus. De nos jours le cubisme représente-t-il, malgré ses énormes déficiences, l'enfance encore trébuchante et hurlante d'un art de nouveau pur ? Le dogmatisme barbare de ses théoriciens oblige d'en douter fortement, et d'appréhender que la nouvelle école ne tente de s'affranchir radicalement de l'imitation naturaliste que pour s'immobiliser dans les stultae questiones, en niant les conditions premières qui distinguent essentiellement la Peinture des autres arts, de la Poésie par exemple ou de la Logique. On constate cependant chez quelques-uns des artistes, — peintres, poètes, musiciens surtout, — que la critique logeait naguère à l'enseigne du Cube (d'un cube étonnamment extensible), l'effort le plus digne d'attention vers la cohérence logique, la simplicité et la pureté de moyens qui constituent proprement la véracité de l'art. Tous les gens bien, aujourd'hui, demandent du classique ; je ne connais rien, dans la production contemporaine, de plus sincèrement classique que la musique de Satie. « Jamais de sortilèges, de reprises, de caresses louches, de fièvres, de miasmes. Jamais Satie ne « remue le marais ». C'est la poésie de l'enfance rejointe par un maître technicien."

Jacques Maritain, Art et scolastique, 1935