Dans le régime parlementaire le peuple n'exerce pas le pouvoir. Il ne fait plus de lois, il ne gouverne plus, il ne juge plus. Mais il dépose un bulletin dans l'urne, sorte d'opération magique par laquelle il s'assure d'une liberté qui n'est plus dans ses actes quotidiens. C'est sous la forme de la démission que se manifeste la vie politique : démission du peuple entre les mains de ses représentants, démission de la majorité parlementaire entre les mains de son gouvernement, démission du gouvernement devant la nécessité politique incarnée par les grands commis de l'administration. En régime parlementaire, l'abdication de la volonté populaire se fait en détail et pour un temps limité entre les mains de quelques-unes. Dans le régime totalitaire, elle se fait d'un seul coup entre les mains d'un seul. ... Ce qu'il y a de grave ce n'est pas l'acte de céder à l'État qui est inévitable, mais de tout lui abandonner en appelant cette aliénation Liberté.



Bernard Charbonneau, L’État, ronéotypé, 1949, réédition chez Économica, 1987.