- Quelle serait la voie de la renaissance ?



- C'est nous, hommes sentant chrétiennement dans nos âmes, qui devons nous unir, non pas contre quelqu'un, mais pour notre libération spirituelle ! de petites cellules spirituelles, morales se formeront un peu partout, ne regroupant que quelques personnes qui porteront pourtant en elles les possibilités de l'avenir, « l'avenir meilleur », comme on a l'habitude de dire. A mon avis, cet avenir meilleur n'est pas un avenir plus facile, mais il est la forme de vie enracinée dans la vérité, il est la politique sans mensonge qui souhaite et sert la vie ! On a beau me dire que tout le monde est prisonnier du passé, avec ce tyrannique « il en a toujours été ainsi », si nous n'avons pas le courage de briser ces entraves, nous périssons, nous étouffons.



Nous nous taisons tous les deux. Il me semble que Maritain est plongé dans la méditation. Soudain il me regarde de nouveau, avec comme une prière dans les yeux :



- Nous devons être forts..., Il ne nous est pas permis de croire que cette lutte est vaine. Ne le comprenez vous pas ? Nous périssons !... Et non seulement nous, mais tout ce qui est de valeur, tout ce qui est vrai, beau, noble ! Nous devons défendre tout cela..., et dans ce but, nous devons être disposés à vivre une vie apostolique même dans les privations, en renonçant à beaucoup de choses. C'est de l'intérieur, des racines le plus profondes de nos âmes que nous devons puiser la vie nouvelle, le courage nouveau.



- Croyez-vous que cela puisse arriver ?



- Je ne sais pas !... J'ai peine à oser l'espérer, parce que, malheureusement, je vois trop souvent que la société n'a pas pris conscience que ce sont des questions de vie ou de mort. Pourtant, si nous ne renaissons pas de l'Esprit, si nous ne reconnaissons pas, enfin, les problèmes sociaux, nous serons anéantis par une conflagration universelle !



Jacques Maritain, entretien avec Lily Doblhoff, Pesti Naplo, Budapest, 9 février 1937.