Depuis mon adolescence, je n’ai pu me retenir de colère, le plus souvent, beaucoup trop souvent gardée au fond du cœur et non exprimée (à la fois sans doute par manque de courage mais aussi par timidité, par sentiment d’incompétence face à d’illustres « experts », politiques, moralistes ou juristes), je n’ai pu m’empêcher de ressentir jusqu’à la colère l’évidence de l’absurdité de prétendre espérer le respect de ces droits du seul fait de leur « proclamation », puis de leur abandon aux fragiles arbitraires et de gouvernants et d’opinions publiques incapables, pour le plus grand nombre, de dire tout simplement « pour quoi être homme ».

Un temps, j’ai espéré que l’on accepterait d’aller enfin à la source des énergies, l’unique (j’en suis de plus en plus fortement certain à mesure que je vis et approche du bout de ma route et de la Rencontre de la Pleine Lumière) qui rendrait possible ce respect.

C’était lorsque, entraînés par la ténacité du cher et grand René Cassin, lors de l’une des sessions de la commission de l’Onu chargée de la rédaction de ce qui est nommé désormais « Déclaration universelle des droits de l’homme » (commission à laquelle je participais au titre de l’organisation non gouvernementale dite « Mouvement universel pour une confédération mondiale » dont je présidais alors le comité exécutif), vint le moment, peu avant de mettre son point final à cette « Déclaration », où nous fûmes quelques-uns à nous acharner à ce que ne soit pas omis un article allant, bien au-delà des « droits », jusqu’à l’évocation du fondement de tout sens de l’être de l’homme.

Tous ces efforts ne purent obtenir plus que (dans le paragraphe 1 de l’article 29) la très vague allusion à la « communauté », dont le service, seul, peut rendre « possible » le « libre et plein développement de la personnalité » de chacun.

Comment s’étonner que, n’osant pas aller jusqu’à parler d’amour, les hommes voient de leurs « droits » ne rester que des phrases en l’air, emportées par tous les vents ?

L'abbé Pierre, Lettre d'information d'Emmaüs, novembre 1981 (source La Vie)