L’extrême- gauchisme se contente de renverser les termes de la propagande policière : là où celle-ci désigne des barbares, venus d’un infra-onde extérieur aux valeurs de la société civilisée, il prône des sauvages étrangers au monde de la marchandise et décidés à le détruire. C’est la « révolution par les cosaques », avec les banlieues en guise de steppes. Tout ce que veut bien concéder une telle apologie, c’est que ce refus est assez peu conscient, fort mal raisonné en tout cas, quoique bel et bien là par l’intention. Mais si l’on quitte le ciel des bonnes intentions – le gauchisme vit de bonnes intentions, les siennes et celle qu’il prête à ses héros négatifs – pour redescendre sur terre, le problème n’est pas que ces barbares refusent, même très mal, le nouveau monde de la brutalité généralisée ; c’est au contraire qu’ils s’y adaptent très bien, plus vite que beaucoup d’autres, qui sont encore encombrés de fictions conciliatrices.

Jaime Semprun, L'abime se repeuple 1997