Une civilisation qui mépriserait la mort parce qu’elle mépriserait la personne humaine et méconnaîtrait le prix de la vie humaine, une civilisation qui gâcherait le courage des hommes et gaspillerait leur vie pour les rêves de la convoitise ou de la haine ou pour la rage de domination ou pour l’idolâtrie de l’Etat, ne serait pas civilisation, mais barbarie. Son héroïsme serait une bestialité sans cœur.

Une civilisation qui connaîtrait le prix de la vie humaine mais qui établirait comme ses valeurs suprêmes la vie périssable de l’homme, le plaisir, l’argent, l’égoïsme, la sécurité dans la possession des biens acquis, et qui par suite redouterait la mort comme le plus grand des maux, et qui sous prétexte de respecter la vie humaine éviterait tout risque de sacrifice et tremblerait de penser à la mort, une telle civilisation ne serait pas civilisation, mais dégénération. Son humanisme serait une délicatesse de lâches.

La vraie civilisation connaît le prix de la vie humaine, mais c’est de la vie impérissable de l’homme qu’elle fait sa suprême valeur transcendante. Elle ne craint pas la mort, elle affronte la mort, elle accepte le risque, elle demande le sacrifice, mais pour des buts dignes de la vie humaine, pour la justice, pour la vérité, pour l’amour fraternel. Elle ne méprise pas la vie humaine et elle ne méprise pas brutalement la mort, elle accueille la mort quand la mort, telle que les hommes libres la voient, est le dernier accomplissement de la dignité de la personne humaine et un commencement d’éternité.

Jacques Maritain. De Bergson à Thomas d’Aquin, essais de métaphysique et de morale. Editions de la Maison Française, New York, 1944.