Il y a des dieux tyrans. Il y a un Dieu libérateur.

Les dieux tyrans ne prennent plus aujourd’hui, généralement, des noms de dieux. Ils préfèrent des pseudonymes. Leur tyrannie n’est pas moindre. Vous repoussez la foi en Dieu, comme une intolérable « théocratie » ? Mais la preuve se fait, de jour en jour plus forte, que c’est au profit d’une « mythocratie » redoutable. Au ciel que vous avez vidé, voici monter l’armée des mythes : mythes plus contraignants que la faim, plus despotiques que tous les despotes … Non habebis deos alienos coram Me. Tel est, pour toujours, « le précepte de la liberté ». Ces dieux étrangers, faux dieux, dieux mythiques, ce sont des dieux aliénateurs, -monstres dévorants, comme les passions humaines dont ils sont tous des hypostases.

Vous avez fait du vrai Dieu leur semblable, et vous avez cru les repousser tous également, d’un même geste. Mais ce geste superbe venait d’un contresens. Vous n’avez pas vu qu’au contraire il faut choisir entre eux et Lui. Les obscures divinités que le soleil de justice faisait fuir à son aurore et qu’il tenait en respect reviennent aussitôt, sous d’autres noms.

Noms antiques ou noms nouveaux, noms de dieux ou pseudonymes, toujours sous eux se cache quelque trait de l’homme qui s’adore en elles, et qui se fait ainsi son propre esclave.

Jusqu’où faudra-t-il descendre en cet esclavage, pour que l’humanité tout entière enfin s’écrie, d’une seule voix : « Je tends les bras à mon libérateur ! »

Henri de Lubac. Sur les chemins de Dieu, Chapitre septième, De l’actualité de Dieu. Editions du Cerf, 1983.