Le paysan chrétien, voyant les étoiles, voyait Dieu. Qu’importe que les astres fussent démesurés par rapport à son personnage, puisque Dieu le voyait, et l’aimait, si petit qu’il fut ? Non seulement le paysan chrétien voyait Dieu, d’une vue intérieure, mais il était vu de Dieu. Il connaissait par son intelligence, il était connu par une intelligence -l’intelligence même- et, entre ces deux intelligences, il y avait le lien de l’amour. On n’imagine pas un Dieu immatériel, on ne se représente pas un dieu immatériel, mais on peut aimer un Dieu immatériel pour peu qu’on sache qu’il vous aime. Parce qu’il est situé en dehors de la matière et qu elle lui obéit dans sa totalité, les dimensions de la matière perdent par là toute importance. L’esprit étant par lui-même sans mesure, qu’importent les mesures matérielles à l’esprit ? Le chrétien n’était pas épouvanté comme nous par l’énormité des nombres, puisque Dieu est infini. Et cet infini même ne le consternera pas, bien qu’il ne puisse le comprendre, puisqu’il lui a été dit que sa personne est faite à l’image de Dieu, et que dieu lui a envoyé son fils, qui est Dieu et qui est homme en même temps. Religion encore bien plus humaine que la païenne et bien plus faite encore à notre taille, puisque Dieu été l’un de nous. Puisqu’il a eu exactement une fois nos dimensions, puisqu’il a eu un corps tout pareil au notre, puisqu’il n’habitait pas seulement le sommet des montagnes ou l’extrémité de la nue ou les profondeurs de la terre ou les retraite des forêts, mais qu’il vivait comme nous dans une de nos maison, dans nos rues, mangeant et buvant, dormant comme nous, nous parlant : puisqu’il est né, puisqu’il est mort, puisqu’il a souffert, et qu’il a saigné et qu’il a gémi avant de mourir, - et il était Dieu.

Charles Ferdinand Ramuz. Taille de l’homme. 1933.