L’enfantement est une chose trop sérieuse pour être confiée aux parents, c’est le nouveau mot d’ordre. Heureusement, la science dans son avatar technique, alliée aux pratiquants du sexe foncièrement stérile, s’applique jour après jour à mener à bien notre rééducation. Qui est incapable de donner la vie, d’engendrer et d’enfanter, s’est donc mis en tête de nous expliquer en quoi consiste ontologiquement cet engendrement. La pensée bonne de ces philanthropes, qui n’ont bien entendu aucun intérêt à l’affaire sinon la jouissance de l’humanité, est si simple qu’on ne peut arguer que de l’aveuglement naturellement provoqué par une vérité dans son évidence pour expliquer que nous n’y ayons pas songé plus tôt : l’enfant n’étant que le fruit – ou le produit – d’un désir, il est requis pour son bonheur futur que ce désir soit exprimé avec la plus grande force, et il est nécessaire surtout que les arguments venant appuyer la valeur de ce désir soient exposés avec la plus grand soin. Il est maintenant notoire dans notre monde civilisé que le bonheur c’est la réussite, que la réussite c’est l’argent, la célébrité et le pouvoir, bref la possession de la Rolex, graal reproductible et enfin découvert. Ainsi donc, qui pourra aller contre cette vérité que seuls les riches ont droit à l’enfant ? Car c’est un droit qui suppose des devoirs, avant tout. Et de ses devoirs, on s’acquitte avec l’argent. Il est malheureux que des contemporains, bien intentionnés mais ignorants, se laissent encore aller, sans doute un soir de déprime qu’aucune émission télévisée n’arrive plus à divertir, à se tripoter sur leur fangeuse paillasse de pauvres dans l’intention presque avouée de se reproduire. Imaginent-ils une seconde, ces bonobos tristes, qu’à l’instant où ils croient jouir, c’est une vie perdue qu’ils fabriquent ? Le premier droit des pauvres, c’est d’éviter d’ajouter à leur révoltante cohorte un nouveau membre. De toutes les dominations du temps passé, une seule subsiste entièrement, celle qu’exerce l’hétérosexuation sur toutes les autres sexuations en matière de reproduction. Etrangement, alors qu’elle est peut-être la moins justifiable, la plus inéquitable, on ose rarement aborder de front cette domination. La famille, dans toute sa diversité, suppose une organisation extrêmement élaborée, et donc les moyens afférents : on ne s’improvise pas éducateur du jour au lendemain, seulement parce qu’on a été pris d’une envie pressante et qu’on a omis d’user des moyens adéquats pour éviter une rencontre des gamètes ou qu’on n’a pas eu la présence d’esprit ou le courage de recourir à une IVG si le mal était déjà fait. La joie sans mélange de partager la vie d’un petit être innocent est le résultat d’un long travail fait sur soi-même. Suis-je prêt à l’accueillir ? Aurai-je assez de temps à lui consacrer ? Est-ce que je dispose de moyens suffisants pour lui donner l’éducation qui l’ouvrira au monde ? Ma maison est-elle un écrin assez luxueux pour recueillir pareil bijou ? Ai-je mis tout en œuvre pour tisser un cocon digne de lui ? Ce sont les questions de base que tout candidat à la parentalité doit se poser illico. On n’achète pas un 4X4 pour le laisser rouiller au garage, encore moins si l’on n’a même pas de quoi payer le carburant. Et quelle banque prêterait à un rmiste ?

On ne bâtit pas sur le sable, mais sur le roc : c’est là qu’on juge le vrai désir d’enfant, par où l’homme, animal raisonnable, sait dépasser sa réduction à un fantasme de nature.

Parents, vos projets !