On se souvient des derniers mots de l’Évangile de Jean : « Il y a encore beaucoup d’autres choses que Jésus a faites ; et s’il fallait rapporter chacune d’elles, je pense que le monde entier ne suffirait pas pour contenir les livres que l’on écrirait ainsi. » (Jean 21, 25) Voilà qui fonde la légitimité, certes non canonique, des apocryphes, visions et autres vies de Jésus. Nous avons tous à l’esprit de grands romans évangéliques comme Celle qui aima Jésus ou les Mémoires de Ponce Pilate – si ce n’est les récits d’Anne-Catherine Emmerich ou de Maria Valtorta. Enguerrand Guepy rejoint cette pléiade de romanciers et visionnaires avec L’éclipse. L’éclipse, c’est l’absence du Christ entre la mise au tombeau et la résurrection. C’est la ténèbre tombée comme jamais sur le monde, c’est l’heure de son prince qui règne sur le doute et le désespoir. Où l’on suit les principaux personnages des Évangiles, leur drame intérieur, leur lutte spirituelle – les apôtres et les femmes disciples, bien sûr, mais encore Lazare, le ressuscité, le traître Judas, le procurateur Pilate, Caïphe le grand prêtre, et quelques autres encore, comme le bandit Barabbas, cet autre Jésus qui a des accents de vérité et veut reprendre à son compte l’œuvre commencée : « Les zélotes vocifèrent et promettent la révolution mais leur volonté est faible ; Jésus avait tout pour réussir. Il était l’exact opposé des zélotes. Il ne vociférait pas, ne promettait pas la révolution. Il était simplement en marche. Alors le peuple a commencé par l’écouter et a fini par croire qu’il était celui que nous espérions. » Humain, trop humain, certes, le grand malentendu de l’époque, qui ressemble étrangement à la nôtre – et que dissipera le grand matin de Pâques.

Enguerrand Guepy, L’Eclipse, L’œuvre, 2010