Ces hommes vertueux, dont le monde se fait tant d’honneur, n’ont au fond souvent pour eux que l’horreur publique. Amis fidèles, je le veux ; mais c’est le goût, la vanité ou l’intérêt qui les lie, et dans leurs amis ils n’aiment qu’eux même. Bons citoyens, il est vrai ; mais la gloire et les honneurs qui nous reviennent en servant la patrie sont l’unique lien et le seul devoir qui les attachent. Amateurs de la vérité, je l’avoue ; mais ce n’est pas elle qu’ils recherchent, c’est le crédit et la confiance qu’elle leur acquiert parmi les hommes. Observateurs de leurs paroles ; mais c’est un orgueil qui trouverait de la lâcheté et de l’inconstance à se dédire ; ce n’est pas une vertu qui se fait religion de ses promesses. Vengeurs de l’injustice ; mais en la punissant dans les autres, ils ne veulent que publier qu’ils n’en sont pas capables eux-mêmes ; Protecteurs de la faiblesse ; mais ils veulent avoir des panégyristes de leur générosité, et les éloges des opprimés sont ce que leur offrent de plus touchant leur oppression et leur misère. En un mot, dit l’Ecriture, on les appelle miséricordieux : ils ont toutes les vertus pour le public ; mais n’étant pas fidèles à Dieu, ils n’en ont pas une seule pour eux-mêmes.

Jean-Baptiste Massillon. Sermon sur la fausseté de la gloire humaine. 1718.