Il était difficile que saint Jérôme, malgré toute son autorité, évitât la censure des riches du siècle, quand il a dit généralement et sans nulle modification, que tout homme riche est ou injuste dans sa personne, ou héritier de l’injustice et de l’iniquité d’autrui : Omnis dives, aut iniquus est, aut hoeres iniqui. Cette proposition a paru dure et odieuse : quelques uns même l’ont condamnée comme indiscrète et fausse : mais je doute qu’en la condamnant ils l’eussent approfondie avec des lumières aussi pures et un sens aussi solide et aussi exact que ce Père, dont un des caractères particuliers a été la science et l’usage du monde. Or, plus on entre dans le secret et dans la connaissance du monde, plus on demeure persuadé que ce saint docteur a du parler de la sorte, et qu’en effet il y a peu de riches innocents, peu dont la conscience doive être tranquille, peu qui soient exempts de la malédiction où il semble que cette proposition les enveloppe. J’en appelle à votre expérience : parcourez les maisons et les familles distinguées par la richesse et par l’abondance des biens, je dis celles qui se piquent le plus d’être honorablement établies, celles où il parait d’ailleurs de la probité et même de la religion : si vous remontez jusqu'à la source d’où cette opulence est venue, à peine en trouverez vous où l’on ne découvre dans l’origine et dans le principe, des choses qui font trembler.

Sans autre recherche que de ce qui a été ou de ce qui est même encore d’une notoriété publique, à peine en pourriez vous marquer où l’on ne vous fasse voir une succession d’injustice, aussi bien que l’héritage, c'est-à-dire, où la mauvaise foi d’un père n’ait été, par exemple, le fondement de la fortune d’un fils, où la friponnerie de l’un n’ait servi à enrichir l’autre, où la violence de celui-ci n’ait fait l’élévation de celui là : et vous reconnaîtrez avec frayeur que tel qui passe aujourd’hui pour homme équitable et droit, et pour possesseur légitime de ce que ses ancêtres lui ont transmis, n’est pas moins chargé devant Dieu de leurs iniquités et de leurs crimes, qu’il est avantageusement pourvu selon le monde de leurs revenus et de leurs trésors : Tout riche est, ou injuste lui-même, ou héritier de l’injustice (Saint Jérôme).

Louis Bourdaloue. Sermon sur les richesses. 1670.