Montrez moi quelque part des consciences plus vénales, des esprits plus indifférents, des âmes plus pourries que dans la caste lettrée ! Combien en connaissez vous dont la vertu soit restée hors d’atteinte ! Qui est-ce qui, depuis trente ans, nous a versé à pleins bords le relâchement des mœurs, le mépris du travail, le dégoût du devoir, l’outrage à la famille, si ce n’est la gente littéraire ? Qui a puisé avec le plus d’impudence à la caisse des fonds secrets ? qui a le plus séduit les femmes, amolli la jeunesse, excité la nation à toutes les sortes de débauches ? Qui a donné le spectacle des apostasies les plus éhontées ? Qui a délaissé le plus lâchement les princes, après en avoir mendié les faveurs ? Qui se rallie avec le plus d’empressement, aujourd’hui, à la contre-Révolution ? Des littérateurs, toujours de littérateurs ! Que leur importent la sainteté de la religion, la gravité de l’histoire, la sévérité de la morale ? Ils passent, comme des filles perdues, de la légitimité à l’usurpation, de la monarchie à la république, de la politique au socialisme, de l’athéisme à la religion. Tout leur va, pourvu qu’ils en retirent de la vogue et de l’argent. Quelle soif de distinction ! Quelle fureur de jouir ? Mais surtout quelle hypocrisie ! Nommez les, Parisiens, nommez les pour vos représentants. Flagorneurs du peuple, flagorneurs de la bourgeoisie, flagorneurs des rois, flatteurs de tous les pouvoirs, toujours prêt à saluer l’amphitryon où l’on dîne, ce qu’ils vous demandent au nom de la patrie, du travail, de la famille, de la propriété, c’est de l’or, du luxe, des voluptés, des honneurs, et vos femmes.

Pierre Joseph Proudhon. Ce que la révolution doit à la littérature, 1848.