Le terme même de découragement ne saurait avoir de sens parmi nous. La seule question qui se pose est de savoir si nous devons ou non continuer à lutter ; dans le premier cas, nous lutterons avec autant d’ardeur que si la victoire était sure. Il n’y a aucune difficulté une fois qu’on a décidé d’agir, a garder intacte, sur le plan de l’action, l’espérance même qu’un examen critique a montré être presque sans fondement ; c’est là l’essence même du courage. Or étant donné qu’une défaite risquerait d’anéantir, pour une durée indéfinie, tout ce qui fait à nos yeux la valeur de la vie humaine, il est clair que nous devons lutter par tous les moyens qui nous semblent avoir une chance quelconque d’être efficaces. Un homme que l’on jetterait à la mer en plein océan ne devrait pas se laisser couler, malgré le peu de chance qu’il aurait de trouver le salut, mais nager jusqu’à l’épuisement. E nous ne sommes pas véritablement sans espoir. Le seul fait que nous existons, que nous concevons et voulons autre chose que ce qui existe, constitue pour nous une raison d’espérer.

Simone Weil. Allons nous vers la révolution prolétarienne ? La Révolution prolétarienne n°158, août 1933.