Scriptorum chorus omnis amat nemus, et fugit urbes.1



« Nous devrions vivre de la vie primitive des premiers pionniers tout en restant au sein de la civilisation apparente. »2 « Il existe de nos jours des professeurs de philosophie, mais de philosophes, point. Être philosophe, ce n’est pas seulement avoir des pensées subtiles, ce n’est pas même fonder une école, c’est aimer assez la sagesse pour vivre selon ses arrêts, une vie de simplicité, d’indépendance, de générosité et de confiance. C’est résoudre quelques-uns des problèmes de la vie, non seulement en théorie, mais en pratique. » 3 « La simplicité et la sobriété de la vie de l’homme, dans les temps primitifs, avaient au moins cet avantage qu’il ne cessait jamais d’être en contact avec la nature. Quand il avait trouvé le repos dans le sommeil, et avait apaisé sa faim, il songeait de nouveau à son voyage. Il demeurait, en quelque sorte, sous une tente, dans ce monde, suivant les vallons, traversant les plaines, grimpant au sommet des montagnes. Mais voici que les hommes sont devenus les outils de leurs outils. » 4 « La plus grande partie de ce que mes voisins appellent le bien, je crois bien au fond de mon cœur qu’il s’agit du mal ; et s’il y a quelque chose dont je me repens, c’est probablement de ma bonne conduite. Quel diable m’a ainsi poussé à agir si bien ? »5 « Si j’étais sûr qu’un homme dut venir me voir dans ma maison avec le dessein arrêté de faire le bien, je fuirais comme devant un péril mortel. » 6 « Nos mœurs se sont corrompues au contact des saints. » 7 « Quand tu te préoccupes d’un autre, c’est alors que tu commences à te négliger toi-même. » (Diogène de Sinope) « Si donc nous nous efforçons de guérir l’humanité par des moyens vraiment indiens, botaniques, magnétiques, ou naturels, soyons d’abord nous-mêmes aussi simples, aussi sains que la nature, dissipons les nuages suspendus sur nos propres fronts, absorbons un peu de la vie par tous les pores. » 8 « Chaque matin était une joyeuse invitation à mettre ma vie, dans sa simplicité, et je pourrais dire son innocence, à l’unisson avec la nature elle-même. J’ai été un adorateur de l’Aurore aussi sincère que l’étaient les Grecs. Je me levais tôt, et me baignais dans l’étang ; c’était là un exercice religieux, et l’une des meilleures choses que je faisais. » 9 « Je m’en allais vivre dans les bois parce que je voulais vivre sans hâte, faire face seulement aux faits essentiels de la vie, découvrir ce qu’elle avait à m’enseigner, afin de ne pas m’apercevoir, à l’heure de ma mort, que je n’avais pas vécu. Je ne voulais pas non plus apprendre à me résigner à moins que cela ne fût absolument nécessaire. Je désirais vivre profondément, sucer toute la moelle de la vie, vivre assez vigoureusement, à la façon spartiate, pour mettre en déroute tout ce qui n’était pas la vie. » 10 « Au lieu d’aristocrates, ayons des villages aristocratiques d’hommes. » 11 « Je vais, je viens dans la nature, je fais partie d’elle. » 12 « Passons une journée aussi calmement que le fait la nature. » 13 « Les individus, comme les peuples, doivent avoir des frontières naturelles et un territoire assez vaste, et même une étendue neutre considérable entre eux. » 14 « Jouis de la terre, ne la possède pas. » 15 « Nous n’avons que pitié pour la garçon qui n’a jamais tiré un coup de fusil ; il n’en est pas plus humain, et son éducation reste bien incomplète. » 16 « Nous parlions des temps jadis, plus rudes et plus simples, où les hommes se retrouvaient autour de grands feux, par le froid vif et sain, avec des idées claires. » 17 « La terre est tout entière vivante et couverte de papilles. » 18 « Que nous importent alors les histoires, les chronologies, les traditions et toutes les révélations écrites ? Les ruisseaux chantent des cantiques et des chœurs, au printemps. » 19 « Nous avons besoin d’être tonifiés par la nature sauvage, de parcourir parfois les sables des marais où le butor et le râle se cachent, d’entendre l’appel sourd de la bécasse ; de sentir l’odeur du jonc qui murmure, où seul bâtit son nid l’oiseau plus sauvage encore et plus solitaire, où rampe la martre, le ventre au sol. En même temps que nous aspirons à explorer et à apprendre, nous exigeons que tout reste mystérieux et inexplorable, que la terre et la mer soient tout à fait sauvages, inconnues, insondées par nous parce que insondables. Nous n’avons jamais assez de la nature, il faut que nous nous réconfortions à la vue de sa force inépuisable, de ses vastes traits de géante – les rives de l’Océan avec ses épaves, les étendues sauvages, avec leurs arbres vivants et leurs arbres pourrissants, les nuages chargés d’orage, la pluie pendant des semaines, qui fait déborder les ruisseaux. Nous avons besoin de contempler nos propres limités dépassées, de voir des créatures se nourrir librement là où nous ne nous aventurons point. Nous aimons voir les vautours se repaître de charognes, qui nous dégoûtent et nous font horreur, et tirant de ce repas force et santé. » 20 « L’impression que ressent le sage est celle de l’innocence universelle. » 21 « Une nation peut être très civilisée et être dépourvue de sagesse. La sagesse est le résultat de l’éducation, et étant donné que l’éducation consiste à faire ressortir ou développer ce qui est en l’homme, au contact du Non-moi – autrement dit la Vie -, elle est plus à l’abri entre les mains de la Nature qu’entre les mains de l’Art. Le sauvage peut être et est bien souvent un sage. Notre Indien est bien plus un homme que celui qui habite une ville. Il vit comme un homme, il pense comme un homme, il meurt comme un homme. »22 « Je souhaite dire un mot en faveur de la Nature, en ce qu’elle a d’absolument libre et de sauvage par opposition à la liberté et à la culture essentiellement policées, et regarder l’homme comme un habitant ou comme une partie intégrante de la Nature plutôt que comme un membre de la société. »23 « Je suis d’avis que je ne puis conserver ma santé et mes esprits si je ne passe au minimum quatre heures par jour et le plus souvent davantage à flâner par les bois, les collines et les champs, entièrement dégagé de toute préoccupation matérielle. Lorsqu’il m’arrive de me souvenir que les artisans et les commerçants restent dans leur boutique, non seulement toute la matinée mais également tout l’après-midi, tous autant qu’ils sont, assis les jambes croisées comme si la finalité de ces dernières était de servir à s’asseoir et non à être debout ou à marcher, je pense qu’ils ont bien du mérite de ne pas s’être suicidés depuis longtemps. » 24 « De la sorte, il y aura d’autant plus d’air et de soleil dans nos pensées. » 25 « Aujourd’hui, tous les prétendus progrès de l’homme tels que la construction de maisons, la coupe des forêts et de tous les plus grands arbres n’aboutissent qu’à déformer le paysage, à le domestiquer toujours davantage et à le déprécier. S’il pouvait se trouver un peuple pour brûler les clôtures er laisser la forêt en paix ! » 26 « L’Ouest dont je parle ici n’est qu’un synonyme du terme « sauvage » et ce vers quoi tendent mes développements, c’est l’affirmation de ce que la sauvegarde du monde réside dans cerre nature sauvage. » 27 « De la forêt et de la nature à l’état sauvage proviennent les toniques et les écorces qui revigorent l’humanité. » 28 « Je crois en la forêt, en la prairie et en la nuit qui voit pousser le grain. » 29 « Je voudrais une nature si sauvage qu’aucune civilisation ne la puisse regarder en face, comme si nous nous nourrissions de moelle de koudou dévorée crue. » 30 « La peau de l’élan ainsi que celle de la plupart des antilopes qu’on vient de tuer exhalent le plus délicieux parfum qui soit d’herbes et de bois. J’aimerais que l’homme ressemble en cela à l’antilope sauvage, qu’il soit une partie intégrante de la Nature à tel point que sa personne même puisse aussi agréablement se désigner à nos sens et nous rappeler de la sorte les endroits de la Nature qu’il hante avec prédilection. » 31 « Ce qui est sauvage s’accorde avec la vie et le plus vivant est aussi le plus sauvage. » 32 « Le salut d’une ville ne réside pas tant sur les hommes de bien qui y résident que dans les bois et les marais qui l’entourent. » 33 « En littérature, seule la sauvagerie nous attire et l’ennui n’est qu’un autre nom pour ce qui est apprivoisé. C’est tout ce qu’il y a de pensée sauvage, libre, non civilisée qui nous réjouit. » 34 « Où se trouve la littérature qui donnerait la parole à la Nature ? » 35 « En résumé, toutes les bonnes choses sont sauvages et libres. » 36 « Qu’on me donne pour amis et pour voisins des hommes sauvages et non des êtres domestiqués. » 37 « Nul doute que tous les hommes ne présentent pas les mêmes dispositions pour être civilisés, et si la majorité d’entre eux peut s’apprivoiser comme les chiens et les moutons par prédisposition héréditaire, ce n’est pas une raison pour que les autres voient briser leur nature afin qu’on puisse les réduire au même niveau. » 38 « J’aime également voir les animaux domestiques réaffirmer leurs droits originels, preuve qu’ils n’ont pas entièrement perdu leurs mœurs sauvages et leur vigueur primitive. » 39 « Nous portons tous en nous un farouche sauvage et peut-être sommes-nous quelque part enregistrés sous un nom qui ne l’est pas moins. » 40 « Elle est là notre mère, immense, hurlante, sauvage, la Nature qui s’étend autour de nous avec tant de beauté et d’affection pour ses enfants, comme le léopard pour ses petits. Nous sommes pourtant très tôt sevrés, arrachés de son sein et jetés dans la société, dans cette culture qui n’est rien d’autre qu’une interaction de l’homme sur l’homme, une forme d’éducation renfermée qui, au mieux, produit simplement une noblesse anglaise, une civilisation destinée à trouver rapidement son terme. » 41 « Mon désir n’est pas que tout homme, ou toute partie de l’homme, soit cultivé, pas davantage que je ne souhaite voir tout arpent de terre mis en culture : une partie serait consacrée aux labours, mais la plus grande part devrait rester en prairie et en forêt, ne remplissant pas de fonction pour le moment, mais étant destinée à fournir de l’humus dans un avenir lointain, grâce à la décomposition annuelle de la végétation qu’elle produirait. » 42 « Nos pensées ailées sont devenues des volailles. » 43 « Par-dessus tout, nous ne pouvons pas nous permettre de vivre hors du présent. Béni entre tous les mortels celui qui ne perd pas un instant de la vie qui passe à se souvenir du passé ! A moins que notre philosophie n’entende chanter le coq dans chaque cour de ferme de notre horizon, elle est dépassée. Un tel son nous rappelle généralement que nos activités et nos habitudes de pensée sont en train de devenir rouillées et obsolètes. Sa philosophie indique une heure plus récente que la nôtre. Il suggère un testament plus neuf, l’évangile selon l’instant présent. Il n’est pas demeuré en arrière, il s’est levé tôt et a conservé son avance, pour être là où il doit être au moment opportun, à l’extrême pointe du temps. Il exprime la santé et la vigueur de la Nature – une vantardise à la face du monde – une santé jaillissante comme d’une source, une nouvelle fontaine des Muses pour célébrer ce tout dernier instant du temps. » 44 « Je pense que nous devrions avant tout être hommes et ensuite seulement sujets. »45

1 « Tous ceux qui se mêlent d’écrire, aiment les bois et fuient les villes. » Horace, Epîtres, II, II, 77 2 Henry David Thoreau, Walden ou la vie dans les bois, Préface de Michel Onfray, Climats, 2015 3 Henry David Thoreau, Walden ou la vie dans les bois, Préface de Michel Onfray, Climats, 2015 4 Henry David Thoreau, Walden ou la vie dans les bois, Préface de Michel Onfray, Climats, 2015 5 Henry David Thoreau, Walden ou la vie dans les bois, Préface de Michel Onfray, Climats, 2015 6 Henry David Thoreau, Walden ou la vie dans les bois, Préface de Michel Onfray, Climats, 2015 7 Henry David Thoreau, Walden ou la vie dans les bois, Préface de Michel Onfray, Climats, 2015 8 Henry David Thoreau, Walden ou la vie dans les bois, Préface de Michel Onfray, Climats, 2015 9 Henry David Thoreau, Walden ou la vie dans les bois, Préface de Michel Onfray, Climats, 2015 10 Henry David Thoreau, Walden ou la vie dans les bois, Préface de Michel Onfray, Climats, 2015 11 Henry David Thoreau, Walden ou la vie dans les bois, Préface de Michel Onfray, Climats, 2015 12 Henry David Thoreau, Walden ou la vie dans les bois, Préface de Michel Onfray, Climats, 2015 13 Henry David Thoreau, Walden ou la vie dans les bois, Préface de Michel Onfray, Climats, 2015 14 Henry David Thoreau, Walden ou la vie dans les bois, Préface de Michel Onfray, Climats, 2015 15 Henry David Thoreau, Walden ou la vie dans les bois, Préface de Michel Onfray, Climats, 2015 16 Henry David Thoreau, Walden ou la vie dans les bois, Préface de Michel Onfray, Climats, 2015 17 Henry David Thoreau, Walden ou la vie dans les bois, Préface de Michel Onfray, Climats, 2015 18 Henry David Thoreau, Walden ou la vie dans les bois, Préface de Michel Onfray, Climats, 2015 19 Henry David Thoreau, Walden ou la vie dans les bois, Préface de Michel Onfray, Climats, 2015 20 Henry David Thoreau, Walden ou la vie dans les bois, Préface de Michel Onfray, Climats, 2015 21 Henry David Thoreau, Walden ou la vie dans les bois, Préface de Michel Onfray, Climats, 2015 22 Henry David Thoreau, Vivre comme un prince. Ecrits de jeunesse, Préface de Michel Onfray, Climats, 2015 23 Henry David Thoreau, Marcher, Carnets, L’Herne, 2014 24 Henry David Thoreau, Marcher, Carnets, L’Herne, 2014 25 Henry David Thoreau, Marcher, Carnets, L’Herne, 2014 26 Henry David Thoreau, Marcher, Carnets, L’Herne, 2014 27 Henry David Thoreau, Marcher, Carnets, L’Herne, 2014 28 Henry David Thoreau, Marcher, Carnets, L’Herne, 2014 29 Henry David Thoreau, Marcher, Carnets, L’Herne, 2014 30 Henry David Thoreau, Marcher, Carnets, L’Herne, 2014 31 Henry David Thoreau, Marcher, Carnets, L’Herne, 2014 32 Henry David Thoreau, Marcher, Carnets, L’Herne, 2014 33 Henry David Thoreau, Marcher, Carnets, L’Herne, 2014 34 Henry David Thoreau, Marcher, Carnets, L’Herne, 2014 35 Henry David Thoreau, Marcher, Carnets, L’Herne, 2014 36 Henry David Thoreau, Marcher, Carnets, L’Herne, 2014 37 Henry David Thoreau, Marcher, Carnets, L’Herne, 2014 38 Henry David Thoreau, Marcher, Carnets, L’Herne, 2014 39 Henry David Thoreau, Marcher, Carnets, L’Herne, 2014 40 Henry David Thoreau, Marcher, Carnets, L’Herne, 2014 41 Henry David Thoreau, Marcher, Carnets, L’Herne, 2014 42 Henry David Thoreau, Marcher, Carnets, L’Herne, 2014 43 Henry David Thoreau, Marcher, Carnets, L’Herne, 2014 44 Henry David Thoreau, Marcher, Carnets, L’Herne, 2014 45 Henry David Thoreau, Désobéir, Carnets, L’Herne, 2014