On court deux dangers spirituels à ne pas posséder une ferme. Le premier est de croire que la nourriture pousse dans les épiceries. Le second, de penser que la chaleur provient de la chaudière. Pour écarter le premier danger, il convient de planter un jardin, de préférence assez loin de toute épicerie susceptible de brouiller la démonstration. Pour le second, il suffit de poser sur ses chenets une bûche de bon chêne, loin de toute chaudière, et de s'y réchauffer tandis qu'une tempête de neige maltraite les arbres au-dehors. Pour peu qu'on l'ait abattu, scié, fendu et transporté soi-même, en laissant son esprit travailler en même temps, on se souviendra longtemps d'où vient la chaleur, avec une profusion de détails qu'ignoreront toujours ceux qui passent le week-end en ville près d'un radiateur.

Almanach d'un comté des sables, Aldo Leopold, éd. Aubier, 1995 (ISBN 2700728475), partie I (« Almanach d'un comté des sables »), p. 22