Quand la ménagère moderne va au marché, choisit les œufs, rentre chez elle dans sa voiture, prend l’ascenseur jusqu’au septième étage, allume la cuisinière, sort le beurre du réfrigérateur et fait cuire les œufs, chacun de ses gestes ajoute une valeur à la marchandise. Pour sa grand-mère, ce n’était pas le cas. Elle allait chercher les œufs au poulailler, prenait du saindoux qu’elle avait fondu elle-même, faisait du feu avec le bois que les enfants avaient ramassé dans la forêt domaniale, et ajoutait aux œufs du sel qu’elle avait acheté. Cet exemple, qui peut paraître romantique, rend la différence bien claire. Les deux femmes font une omelette, mais une seule utilise une marchandise et des biens dont la production dépend d’un fort investissement en capital : automobile, ascenseur, cuisinière électrique munie de tous ses gadgets. L’une accomplit des tâches spécifiques à son genre en créant la subsistance ; l’autre doit se résigner au fardeau ménager du travail fantôme.



Ivan Illich, Le Genre vernaculaire, 1983.