L'Etat est devenu l'esclave du Système industriel-spéculatif reposant sur la consommation.

Etienne de La Boétie : le tyran compte bien sur ses esclaves pour subsister. Il suffirait de le laisser tomber... De la même manière, le Système s'effondrerait de lui-même si nous cessions de consommer les produits inutiles qui l'engraissent et lui donnent sa toute puissance sur les Etats et sur les individus.

L'Etat, qu'il soit démocratique ou dictatorial, a été vaincu par le Système, c'est une bonne chose ; il ne reste plus qu'à vaincre celui-ci.

Pour ce faire, une seule stratégie : non pas la révolte, qui n'a aucune prise sur lui (au contraire, il peut s'en servir pour s'offrir, une fois intégrée, de nouvelles parts de marchés), mais la simple volte.

La volte, c'est-à-dire : tourner le dos au Système.

Non, merci. Et tourner les talons.

Se détourner, avec dédain, avec mépris si l'on veut, avec dérision, mais surtout, avec désinvolture.

Désinvolture : désenvelopper, développer, désenrouler. Se défaire avec souplesse et prestance de la camisole du Système. Et ne plus être recroquevillé sur soi.

« Le recours aux forêts » n'est plus possible. Les huissiers sont équipés de GPS. Thoreau, s'il vivait aujourd'hui dans sa cabane, serait « secouru » par l'Etat et envoyé en ville dans un foyer pour « indigents ».

Reste l'action terreauriste. Reste le terroirisme.

Des communautés d'anarques réinvestissant la terre abandonnée à l'agriculture industrielle, rachetant les terres des derniers agriculteurs mécanisés et poussés au suicide par le Système.

Anarques ou hommes libres (femmes comprises, bien entendu), organisés, choisissant de quitter la vie « moderne » hors-sol pour la vie traditionnelle et futuriste enracinée.

Quelques rappels concernant l'anarque de Jünger, dans son récent Eumeswil : « La contrepartie positive de l’anarchiste, c’est l’anarque. Celui-ci n’est pas le partenaire du monarque, mais son antipode, l’homme que le puissant n’arrive pas à saisir, bien que lui aussi soit dangereux. Il n’est pas l’adversaire du monarque, mais son pendant. »

« L’ anarque n’en est pas tenté (par la mine), pour la simple raison qu’il s’oriente, non selon les idées, mais selon les faits. Il se bat seul, en homme libre, peu enclin à se sacrifier pour qu’une incapacité en remplace une autre, et qu’une domination nouvelle triomphe de l’ancienne. A cet égard, l’homme quelconque est même plus proche de lui, le boulanger qui se soucie avant tout de cuire du bon pain, le paysan qui mène sa charrue tandis que les armées passent à travers son champ. »

Borges : « L'ordre accompagne l'aventure et l'aventure améliore l'ordre ». Parole d'anarque.

Le terrauriste est une forme d'anarque, il crée sa propre autorité, à côté de celle de la société dont il s'accommode certes, mais en la contestant par l'exemple, un autre exemple.

Hommes libres (et femmes, j'insiste) d'une autre modernité, d'une altermodernité, celle non pas de la science industrielle mais de la science naturelle.

Quand j'entends Progrès ou Modernité, je deviens terreauriste.

La technologie de pointe, non pour aller dans l'espace mais pour préserver l'espèce.

Le terreau : un engrais naturel composé de terre végétale et de produits de décomposition.

Le terroir : une étendue limitée de terre avec ses caractéristiques propres, tant agricoles que culturelles.

La tradition : transmission du vivant.

Le travail : action vitale visant à produire du vivant.

Le terreaurisme / terroirisme : abandon désinvolte du Système, dans l'espoir de semer la volte. Action exemplaire, acte de maturité. Reconquête de l'être et du réel.

Le terreaurisme est à la portée de tous, partout et dans le monde entier.

Partout où il y a de la terre, il peut y avoir du terreau, et partout où il y a du terreau, il y a de la nourriture, et quand les terreauristes seront rassasiés, leurs cœurs et leurs corps éprouvés, le Système n'aura plus de séduction pour leurs âmes.

Le terreauriste est le contraire du vivant-mort.

Le terreauriste n'aura pas besoin de convaincre quiconque par le discours. Il se contentera d'agir. Il n'aura pas besoin de la politique du Système. Il se contentera de croître sous ses yeux, son propre regard détourné de lui pour être tourné vers la réalité.

Le terreaurisme est une conspiration universelle pour préserver la vie intérieure.

Lucien Rivière, Notes pour un manifeste, Mexico, 1978.