« La liberté, c’est l’esclavage » (George Orwell, in 1984)

« Presque tous les gouvernements collectifs se sont terminés en tyrannie » (Saint Thomas d’Aquin)

Nous sortons en ce moment-même de la démocratie libérale et représentative. Nous en sortons par le bas (égalitarisme et communautarisme) et par le haut (confiscation des pouvoirs et de leur exercice, acceptée par les citoyens, entre les mains d’une oligarchie). (…) Nous assistons à la prise de pouvoir des oligarchies au nom de la démocratie, associée à la prise de pouvoir de superstructures internationalisées. C'est-à-dire la prise de pouvoir par une partie minuscule des populations, au nom de l’exercice théorique du pouvoir de la majorité.

Le jeu des élections est devenu une extraordinaire mise en scène permettant de masquer le réel de la post-démocratie. Le pouvoir politique concret est entre les mains d’un groupe limité d’hommes qui organisent l’illusion du partage du pouvoir. Politiques, financiers et médias sont étroitement imbriqués. La post-démocratie aux apparences de démocratie n’est en vérité rien d’autre qu’un régime oligarchique. Etrangement, des intellectuels se lèvent souvent pour défendre cette oligarchie, parlant alors de défense de la démocratie « menacée ». Le défenseur invétéré de la démocratie-spectacle refuse que le concept de démocratie soit discuté et interdit à ses contradicteurs de poser la moindre question – levant vite sa pancarte, avec inscrit en rouge le mot « réactionnaire ». Ainsi, la démocratie est devenue le lieu où tout peut être discuté – sauf elle-même.

En 2002 et en 2005, l’oligarchie a tremblé et la démocratie a montré son visage post-démocratique. Nous avons vécu la réalité de la division entre l’oligarchie et le peuple. Nous avons vu la réalité virtuelle de la démocratie. En 2005, le peuple français a dit non, l’oligarchie détenant la réalité du pouvoir politique, économique, social et médiatique, a quant à elle dit non au peuple. Quoi de plus normal, finalement, quand 98% de la presse soutenait le « oui » et militait contre ses propres lecteurs ? Ainsi, les élites « représentatives » étaient presque à 100% sur une position à l’exact opposé de celle du peuple français. Dans la post-démocratie, les choix exprimés par le peuple électoral sont entérinés – après avoir été préparés – ou non par l’oligarchie prétendument démocratique, selon que ces choix vont ou non dans le sens de ce qu’elle souhaite.

La post-démocratie a franchi une étape décisive : le pouvoir oligarchique peut organiser un référendum en étant persuadé de l’emporter, puis perdre ce référendum sans pour autant être contraint d’en respecter les résultats. Cette voix a pu être ignorée comme si de rien n’était : la voix référendaire exprimée par le peuple existe sans pour autant exister. La post-démocratie est cet instant de notre histoire où la participation démocratique de la population à la vie de la cité est devenue virtuelle. La post-démocratie singe la démocratie comme le diable singe Dieu. Nous avons ainsi, selon les mots de Pierre-André Taguieff, « le pouvoir du peuple sans pouvoir ni peuple ». Une impensable « démocratie » sans « demos » ni « kratos ».

L’oligarchie au pouvoir ne comprend pas que le peuple puisse voter contre la direction qu’elle imprime à la politique. Nous avons vu l’extraordinaire incompréhension qui pouvait se lire sur les visages des hommes politiques lors de la proclamation des résultats de l’élection présidentielle de 2002, comme lors de celle des résultats du référendum de 2005.

L’oligarchie se sent injustement trahie par ce bon peuple qui ne vote pas dans le sens historique qu’elle lui a indiqué, et ne peut comprendre qu’une seule chose : elle a mal expliqué aux électeurs quel était le seul vote possible.

Les « élites » sont persuadées d’avoir raison contre le peuple. Pour elles, le peuple doit rejoindre ses représentants dans la communion de la démocratie virtuelle, conçue en tant que seule et vraie réalité. Ainsi, lors des élections, ce n’est plus l’élite qui représente le peuple, mais le peuple qui est sommé de représenter les choix de l’élite…

« Puisque le peuple vote contre le gouvernement, il faut dissoudre le peuple », ironisait en son temps Berthold Brecht…

La post-démocratie peut se définir ainsi : elle est un état servile de la société, dont l’imaginaire demeure celui de la liberté et de l’égalité. Devenant post-démocratie, la démocratie a érigé son propre mensonge – l’inversion de ce qu’elle prétendait être – comme réalité politique concrète.

En post-démocratie, « démocratie » ne se lit plus comme « pouvoir du peuple » mais « pouvoir sur le peuple ». La démocratie a provoqué son inversion mensongère, en prétendant se réaliser concrètement. Voilà la servitude volontaire inhérente à la post-démocratie : l’homme accepte de croire en l’illusion démocratique afin de conserver le confort de son apparente liberté.

(…)

Avec une telle liberté, nous n’avons plus besoin de prisons…

Falk van Gaver, Le Ciel sur la Terre, 2007, Tempora.