Cela fait plus de 50 jours que des paysans polonais repoussent l’arrivée des camions de Chevron dans la région de Zurawlow. La multinationale prétend détenir toutes les autorisations nécessaires pour mener ses projets en vue d’explorer et exploiter les gaz de schiste. Selon les riverains, l’autorisation d’études sismiques prend fin au 6 décembre 2013 tandis que l’autorisation de forer aurait été annulée en juin 2012. Quelques mois plus tôt, Chevron avait provisoirement renoncé à forer, après une très forte mobilisation locale qui est retracée dans le documentaire La Malédiction du gaz de schiste. C’est justement une courte interview du réalisateur de ce documentaire, Lech Kowalski, qu’Alter-Echos vous propose pour compléter la série d’articles publiés portant sur les mobilisations contre les gaz et pétrole de schiste sur la planète.

Alter-Echos : Vous passez beaucoup de temps à Zurawlow, où les paysans polonais s’opposent physiquement à l’installation de Chevron sur une parcelle de terrain en vue de l’exploration et l’exploitation de gaz de schiste. Pourriez-vous nous décrire la situation et nous préciser quels sont les objectifs de cette lutte ?

Lech Kowalski : La lutte contre Chevron a commencé il y a plus de 50 jours quand les camions de Chevron sont entrés dans les champs du village de Zurawlow afin d’installer une clôture autour de près de 3 hectares de terres louées à des agriculteurs locaux. Chevron n’avait pas prévenu de leur arrivée. Cela s’est passé environ un an après que Chevron ait promis au village qu’ils ne pénètreraient pas sur ces terres. Les paysans se sont précipités sur le lieu et se sont physiquement confrontés aux salariés de Chevron pour bloquer l’accès aux terrains. La police était présente du côté de Chevron pour filmer ce qui était en train de se passer. Chevron avait également leur propre cameraman pour film tout ce qu’il pouvait. Les paysans ont alors mis sur pied un blocus et l’ont appelé Occupy Chevron. Ils l’ont appelé ainsi afin de s’unir aux forces qui, partout sur la planète, luttent contre les entreprises qui s’immiscent dans la vie des gens et n’écoutent pas ce que les populations veulent.

Jusqu’à 300 paysans sont venus sur le site depuis le début de cette action. Des paysans sont présents 24 heures sur 24. Ils ont installé une tente et ils produisent l’électricité nécessaire aux ordinateurs et à la lumière sur le site. Des soutiens de toute la Pologne et d’autres pays sont venus. De nombreux journalistes étrangers également. Chevron a également installé une tente sur les terres qu’ils louent. Des gardes de Chevron sont présents chaque jour qui passe. Neuf salariés de Chevron arrivent tous les matins pour travailler mais restent assis sur un camion et repartent à la fin de la journée. Une voiture de police est là 24 heures sur 24. Par ailleurs, 46 paysans ont été assignés pour être interrogés par la police. Ils ont refusé de répondre aux questions. Les paysans veulent que Chevron quitte Zurawlow et plus largement la Pologne. Le gouvernement polonais et Chevron n’ont répondu à aucune des questions soulevées par les paysans. C’est un jeu d’attente. Les paysans n’abandonnent pas. C’est la plus longue mobilisation depuis le mouvement Solidarité.

Alors que de nombreuses entreprises pétrolières et gazières quittent le pays, la Pologne est toujours vue comme l’Eldorado du gaz de schiste en Europe, avec un fort soutien gouvernemental. Pourriez-vous nous expliquer en quoi cette mobilisation est très importante ?

Les politiques du gouvernement polonais sont favorables aux gaz de schiste. Le gouvernement n’a pas informé la population des enjeux des gaz de schiste. De nombreuses entreprises ont obtenu des concessions de gaz de schiste pour une surface totale équivalente à un tiers du territoire polonais. Le gouvernement traite quiconque qui est en désaccord avec les politiques favorables au gaz de schiste comme des terroristes. Une grande partie des médias est favorable au gouvernement et donc pro-gaz de schiste. Cependant, nous observons une couverture de plus en plus importante des politiques concernant les gaz de schiste dans les médias. Une chose relativement importante s’est passée dans le gouvernement puisque le Ministre de l’Agriculture a mis en doute le fait que les bonnes terres agricoles du pays soient utilisées pour l’extraction de gaz de schiste.

Ce mouvement Occupy Chevron est l’action la plus importante en Pologne depuis le début de l’exploration des gaz de schiste et la plus grande réussite est de voir les médias finalement commencer à écouter. Dans ce contexte, les médias étrangers sont importants dans l’optique de mettre la pression sur le gouvernement polonais pour qu’il modifie ses politiques favorables aux gaz de schiste et aux entreprises. Les paysans visitent d’autres pays et sont invités à Bruxelles pour une réunion à propos des politiques concernant les gaz de schiste en Europe. Les paysans conduisent leurs propres enquêtes concernant les politiques des gaz de schiste. De fait, ils sont soutenus dans leur démarche par le fait que sur le plan européen, les techniques de Chevron pour obtenir les permis n’ont pas été correctement menées.

Sur Twitter, vous avez écrit : « Occupy Chevron va au-delà de la question des gaz de schiste, il s’agit des multinationales imposant un certain mode de vie aux citoyens ». Pourriez-vous nous en dire plus et nous dire ce que ces paysans attendent des mouvements sociaux et écologistes des autres pays ?

Internet a sans doute été l’arme la plus importante pour ces paysans. D’abord, ce fut le moyen par lequel les paysans ont appris ce qu’étaient les gaz de schiste et les techniques qui vont avec, et comment les entreprises énergétiques travaillent dans le monde entier. Ensuite, les paysans utilisent Internet pour communiquer leur opinion. Puisque les médias en Pologne sont très corrompus et dominés par un gouvernement corrompu, l’utilisation des médias sociaux est très importante dans cette lutte. Le site internet et la retransmission en direct de ce qu’il se passe dans les champs est un moyen de faire en sorte que le pays et le reste du monde restent informés de la situation. C’est le seul pouvoir réel de ces paysans, provenant de la lutte pour leurs terres et de leur propre défense contre un agresseur. Ils ont le sentiment d’être en guerre. C’est à peu près l’atmosphère dans leur tente, chaque jour qui passe.

De nombreux groupes écologistes ont été en contact avec les paysans. Ces rencontres permettent un échange d’information, ce qui alimente et nourrit les paysans. Cette information est un moyen de montrer la vérité que ni Chevron ni le gouvernement polonais ne veulent raconter. Les soutiens des groupes sociaux et écologistes sont vitaux car ils permettent de passer le mot. Ils sont un signe et un symbole que des personnes du monde entier sont en train de mener des batailles similaires, sur la base d’un accord disant qu’il y a quelque chose de terriblement erroné dans les politiques énergétiques menées un peu partout. Les paysans ont l’impression de ne pas être seuls. Ils sont partie prenantes d’un mouvement planétaire qui défend la Terre. Tout n’est pas seulement question d’argent et de consommation. La lutte est locale mais les ramifications de cette lutte sont mondiales.

Alter-echos