Je l'ai rencontré, me semble-t-il, pour la première fois chez Caillois ou dans un dîner où en tout cas il y avait Caillois. Quel type, je le revois encore prenant à partie Paulhan qui... rotait du sang... Oui, c'était ça : rotait du sang! C'étaient ses propres termes. Il faut ajouter que cela se passait juste après la guerre et que Paulhan siégeait toujours au C.N.E... A un autre moment, Robin fixa Caillois et s'exclama: « Je suis un trèfle béant. » Je l'entends encore... Il avait un côté fleur carnivore. Lui, le tendre, le doux, le rêveur, il se transformait brusquement en violent inquisiteur. Il cherchait volontiers querelle... Par exemple, il demandait à chacun ce qu'il fichait là, créant immédiatement un malaise entre les invités pour la seule joie de vérifier la fragilité des rapports humains... Comment était-il ? Petit, des yeux marron, une barbe invariablement vieille de deux, trois jours, un veston taché, couvert de cendres de cigarette... Mais il suffisait qu'il parle pour que Puck perce sous l'homme ordinaire. Robin égarait les fées, il en avait le secret, le pouvoir ! C'est peut-être pour cela qu'il buvait autant... Léautaud l'aimait beaucoup. Rien de plus normal, entre anarchistes ! En revanche, Robin riait sans pitié de l'ignorance de ses contemporains. C'est ce qui l'a perdu, je veux dire que son intelligence, sa sensibilité l'ont condamné à mort. Il fallait le voir et l'entendre s'attaquer à quelqu'un. Mitterrand qu'il détestait l'a appris à ses dépens. Robin le traitait de boeuf du Nivernais, etc., etc. Quand je faisais La Nation française, il me donnait souvent des textes. Je me souviens, lorsque les Russes ont lancé leur spoutnik, il avait écrit que ce vol ne s'était jamais produit, qu'il s'agissait d'un mensonge, tellement il avait en horreur les staliniens. C'était le mercredi en général qu'il passait me voir, et dès que le journal était tombé, il allait lire son poème aux putes du quartier dont il recherchait la compagnie... et l'approbation.



Pierre Boutang, 1976.