La monotonie des emplois de bureau, l'automatisme du travail à la chaine, ces milles métiers vides que le secteur tertiaire fait proliférer, maintiennent juste à fleur de conscience la nausée de vivre, le vague, l'ennui. Sans substance, le temps est un vampire, il anémie insidieusement l'existence, il exténue la réalité à tel point qu'il rend les hommes incapables d'exercer leur faculté de durer. Celui qui devient, sans qu'il s'en doute, une machine à passer le temps, n'est plus à même de passer le temps dés qu'il cesse d'être cette machine. Alors l'industrie des loisirs en fait sa proie. Sa vie vacante est accaparée, débitée en tranches horaires, lotie en distractions préfabriquées. Ce n'est pas lui qui crée sa part autonome d'existence ; cette part lui est fournie, le délivrant de l'obligation d'être libre. Il n'est heureux - ou du moins sans angoisse - que totalement déterminé.

Pierre Emmanuel, La révolution parallèle, Le Seuil, 1975.