Le décret Dignitatis humanae, affirme solennellement le principe de la liberté religieuse, comprise comme droit civil fondamental de la personne de ne subir aucune contrainte à l’encontre de sa conscience, tout particulièrement en matière religieuse. Cela implique l’affirmation de l’interdiction pour l’Etat d’exercer la moindre contrainte à l’encontre de cette liberté et contre les convictions religieuses, même si ces dernières sont erronées aux yeux de la vérité catholique. Or sans remonter plus haut dans l’histoire de la doctrine catholique, on sait que le magistère pontifical, aux XVIIIe et XIXe siècles, a porté plusieurs condamnations de la liberté religieuse, en défendant au contraire l’obligation de principe pour l’Etat de réprimer les erreurs religieuses.

Comment Benoît XVI met-il en œuvre, sur ce point précis, son principe herméneutique ? La continuité des principes concerne ici la vérité absolue de la foi chrétienne en vertu de laquelle le Christ, sauveur de tous les hommes, est l’unique médiateur entre Dieu et les hommes et l’Eglise, fondée sur la foi en Lui, est dépositaire de la plénitude des moyens de salut. Aussi longtemps que le magistère a estimé que ce principe essentiel de la foi chrétienne était directement menacé par la revendication de la liberté religieuse, il a cru devoir condamner cette liberté religieuse comme connexe à la négation du principe. La liberté religieuse semblait devoir être nécessairement liée au relativisme en vertu duquel n’existe aucune vérité religieuse absolue, surtout pas celle que prétend détenir la foi catholique. Il semblait donc nécessaire de la condamner.

Or, remarque Benoît XVI, cette connexion supposée entre liberté religieuse et refus de principe de la vérité de la religion chrétienne ne relève en fait pas de l’ordre intérieur profond de la doctrine, mais de la contingence de perceptions imparfaites. Car de fait, la liberté religieuse, comprise comme liberté nécessaire à toute adhésion de l’esprit à la vérité religieuse, n’implique pas nécessairement le relativisme au nom duquel n’existerait aucune vérité religieuse absolue. La connexion entre ces deux affirmations, quoique naguère comprise comme nécessaire, ne l’était en fait pas.

La conséquence de cette connexion supposée, apparente mais non réelle, et donc purement contingente, avait d’abord entraîné de la part du magistère une décision elle-même contingente et réformable : la condamnation de la liberté religieuse. Inversement, en comprenant mieux que la liberté religieuse, de soi, est indépendante de la négation de la vérité absolue de la vérité chrétienne et donc du relativisme, l’Eglise prend mieux conscience que cette même liberté religieuse appartient au contraire au patrimoine profond de la doctrine chrétienne. Elle découvre dans cette liberté religieuse la conséquence directe du principe selon laquelle la vérité, en matière religieuse, ne peut être imposée à l’esprit de l’extérieur et ne peut au contraire être reconnue et acceptée qu’en vertu d’une libre adhésion de la personne : Il est en revanche totalement différent de considérer la liberté de religion comme une nécessité découlant de la coexistence humaine, et même comme une conséquence intrinsèque de la vérité, qui ne peut être imposée de l’extérieur, mais qui doit être adoptée par l’homme uniquement à travers le processus de la conviction .

Une fois arrachée à son acception relativiste, contingente et datée, face à laquelle le magistère du XIXe siècle se dut de réagir, la liberté religieuse trouve au contraire sa place juste et légitime au cœur de la doctrine chrétienne, en connexion directe avec la théologie de la foi. C’est en effet la nature même de l’acte de foi, œuvre de la grâce de Dieu dans la conscience libre, qui interdit à l’Etat, comme à quiconque, d’intervenir par contrainte dans sa genèse.

Du même coup, l’Eglise comprend mieux la véritable nature de l’Etat, lequel ne possède aucunement le droit d’intervenir en matière religieuse, encore moins de contraindre qui que ce soit, comme les premiers Chrétiens en firent la dure expérience. Elle prend conscience du fait que la conception qui fut naguère la sienne d’un Etat catholique tenu de prêter à l’Etat son concours coercitif pour l’exercice de sa mission apostolique ne correspond pas à la vérité profonde du droit naturel.
Fr. Henry Donneaud, op,