LE DISPOSITIF HOMOSEXUEL

Le renversement des premiers principes entraîne un certain nombre de conséquences – le désordre qui en résulte, la déformation grimaçante du monde, l'installation rampante de l'informe, du psychosé, l'établissement d'une sorte de règne du barbare, du pervers, du néo-sacrificiel, du néo-magique et du post-ténébreux, tout cela à la fois impulsé et non maîtrisé par des pratiques techno-juridiques aussi folles qu’hyper-rationnelles, pratiques dont on peut saisir la logique dans une sorte de réévaluation postmoderne des actualités de l'être – toute cette démence mondialisante donc ne doit pas nous détourner de ce qui nous intéresse ici, à savoir le pourquoi de cette hallucinante machinerie, de cette machination aussi bien – pourquoi tout cela s'est-il mis en route ? Quel est l'enjeu de ce foutoir fraternitaire, de cet ontologisme biscornu imposé par le monde des frères (mais sans père) et qui trouve un épanouissement extraordinairement insane dans son étape féminal-socialiste ?

Nous le savons, le but des frères est de jouir sans ratage : je veux jouir, voilà qui résume cette volonté – je veux jouir comme il faut. Comment ne pas entendre dans ce comme il faut un désespoir secret, le sentiment s'ignorant lui-même d'une perte terrible, véritablement horrible, la perte de ce que les frères ne pourront jamais posséder, dont ils n'auront jamais jouissance.

Nous pouvons comprendre cela par la bande. C'est-à-dire par le sens ultime que peut receler la fraternité homosexuelle. Dans le monde des frères (mais sans père), le dispositif homosexuel a un statut tout à fait spécial. Disons d'abord, pour nous débarrasser des généralités, que la légalisation de l'homosexualité participe de la reconnaissance officielle de ce que l'autre sexe, le féminin, est bien pourvu de ce dont on l'avait jusque là privé – il en est ainsi non seulement pourvu, mais c'est au vu et su de toute la communauté. Signe dominant de la jouissance féminine dérégulée, le phallus maternel s'impose universellement à toute la communauté des frères, des frères en position de relais, de répéteurs et de senseurs, c’est-à-dire de représentants du Signal Maître. C'est pourquoi il ne convient pas, dans le monde des frères (mais sans père), de considérer l'homosexualité comme une perversion.

La notion de perversion est d'origine religieuse. Dans la Bible, elle s'oppose à la notion de conversion. Dans le monde des frères (mais sans père) l'homosexuel n'est pas un pervers mais un convers, un dévot de la religion de la Mère toute-puissante ou, ce qui est équivalent, un dévot de la religion de la Grande Communauté. Religion parce qu’au renversement des premiers principes et à la promotion du principe d’identité répond une inversion scripturaire dans l’ordre des noms du père, c’est-à-dire un renversement de l’ordre judéo-chrétien de la nomination, par lequel la femme moderne, se donnant position de mère toute-puissante, s’octroie le droit de dire d’elle-même : je suis qui je suis et, de là, de dire de son enfant qu’il est ce qu’elle n’a pas. Le féminal-socialisme prétend donner à la femme postmoderne la position de Dieu au buisson ardent.

L'homosexuel qui est né dans le monde des fils, quelqu'un donc de misérablement chiffonné dans son être, un Julien Green par exemple, ou un Pasolini, ne peut plus d'aucune manière se retrouver dans cette religion moderne du Grand Signe de la jouissance féminine. Dans le monde des fils, la qualification de l'homosexualité comme perversion tient en ceci que la Loi est bafouée par elle. Elle est bafouée dans le fait que l'homosexuel soutient la mère dans l'exacte mesure où elle fait la loi au père – dans le genre parle toujours, c’est au désert. Autrement dit, le fils homosexuel se met à l’ombre de la mère parce qu’il craint encore ce père dont il refuse la loi. Dans le monde des frères (mais sans père), la mère fait la loi tout court, loi de déconstruction bien sûr, loi de caprice, loi de désir incontrôlé, de sorte que cette loi ne tient pas et s'affale de toutes parts en bavures et inconsistances – mais peu importe, elle fait la loi, une fesse sur chaque plateau de la balance de la justice et un sourire de Mona Lisa sur les lèvres, toute juteuse de son pouvoir. L'image de certaines femmes ministres est là pour faire frappant exemple et il est assez évident que la seule autorité qu'elles imposent est celle de leur jouissance, le plus étrange étant que cela en impose réellement – il est surprenant en effet le nombre de ceux qui croient qu’on peut fonder l'autorité sur la jouissance, c’est-à-dire sur ce qui n’est pas (c’est-à-dire sur ce qu’il ne faut pas).

Jean-Louis Bolte (précédemment publié dans la revue Contrelittérature)