Au moment où j’écris, un Comité, dont j’ai reçu la protestation, est en lutte à Venise, avec les barbares qui veulent faire de la cité intangible une ville moderne pareille à Roubaix et à Cardiff, ces idéaux de toutes les municipalités. Etre sale, être noir, être puant, et être riche; avoir beaucoup de tramways à vapeur pour transporter éternellement des milliers d’imbéciles et de femmes hystérisées par le mouvement. Il s’agit de relier Venise à la terre ferme par un large pont et de combler, sans doute (c’en est la conséquence), tous ces canaux prétentieux. Ruskin a écrit les Pierres de Venise; le temps n’est pas loin où, ce livre à la main, les amants affolés de la beauté chemineront en pleurant au milieu des usines insolentes : les pierres de Venise seront des moellons.

Rémy de Gourmont, sur la mort de Ruskin, 1900.