Paris, le 11 septembre 2012

À M. Luc Terras Directeur de publication Golias Hebdo Droit de réponse

Monsieur,

Vous avez publié dans le n°250 de votre hebdomadaire un long article de M. Joseph Thomas consacré à notre ouvrage, paru aux éditions de L’Oeuvre en avril dernier, L’Anarchisme chrétien. Très érudit, renseigné et objectif, ce papier de M. Thomas honore votre magazine, même si certaines divergences avec notre point de vue y sont légitimement énoncées.

Cependant, dans le n°253 du 6 septembre dernier, vous publiez un second papier, sous la signature de M. Jean-Baptiste Malet, qui se veut un écho négatif du premier, ou une manière de correction idéologique à l’usage de vos lecteurs, ledit Jean-Baptiste Malet ayant cru repérer chez nous, les auteurs, certaines dérives politiques. Nous souhaitons y répondre par le présent courrier, tant l’article est entaché d’erreurs – que nous espérons dues à l’ignorance.

Passons sur le titre « Ni anarchistes, ni chrétiens : réactionnaires » qui prétend inquisitorialement discriminer les vrais chrétiens des faux. La rhétorique du papier de M. Malet, exprimée dans des propositions comme "sens caché et nauséabond que contient cet ouvrage", "piège pour les chrétiens progressistes", "imposture intellectuelle", etc. cède à un étrange penchant conspirationniste qui parie sans preuve sur la mauvaise foi des auteurs, lesquels seraient téléguidés par on ne sait quelle officine pour vider l’anarchisme chrétien de sa substance. Cette accusation est en elle-même assez grave pour que nous nous sentions insultés et dans notre travail de chercheurs indépendants, et dans notre liberté d’esprit.

M. Malet, pour donner un peu de corps à son accusation, croit révéler que Falk van Gaver travaille pour le diocèse de Toulon – ce qui est de notoriété publique : M. Malet, sûr de sa théologie, ira-t-il jusqu’à dire que l’évêque du lieu, Mgr Rey n’est pas chrétien mais réactionnaire ?

A propos de Jacques de Guillebon, il parle de collaborateur de la « presse d'extrême-droite » citant « Le Figaro Magazine, Famille chrétienne, Valeurs actuelles, Spectacle du Monde, Causeur". Nous serions heureux de savoir lequel de ces supports est réputé d'extrême-droite. Il eût pu d’ailleurs ajouter à sa liste Témoignage chrétien qui peut-être est considéré dans les colonnes de Golias Hebdo comme ressortissant aussi de l’extrême-droite. Enfin, tout prouve dans l’exorde du papier de M. Malet qu’il cherche à discréditer les auteurs en les réduisant à un champ politico-idéologique considéré comme infâmant.

Ensuite, sur le fond, M. Malet qui n’a certainement pas lu, ou trop lestement, le livre qu’il entendait critiquer croit nous opposer comme définition de l’anarchisme "L'ordre moins le pouvoir" qu’il attribue à un illustre inconnu contemporain quad cette formule est, comme tous les anarchistes le savent, de la plume de Proudhon, et que nous nous en réclamons une bonne dizaine de fois dans l’ouvrage.

M. Malet croit pouvoir inférer du constat que nous avons fait à la lecture de ces anarchistes chrétiens qu’ils étaient dans leur immense majorité passionnés par les communes médiévales comme forme supérieure de la liberté politique que nous serions des nostalgiques du Moyen-Âge. Il ne s’agit que d’un constat historique dont l’on jugera aisément de la validité si l’on prend la peine de lire ces auteurs : mais peut-être faut-il nier que Proudhon fut d’abord un lecteur de de Maistre, que Kropotkine, Tolstoï, Gandhi, Ellul, Ivan Illich - qui conversait intérieurement en latin avec Hugues de Saint-Victor - opposaient sans cesse l'ordre médiéval à la modernité ? Pour prouver une idéologie, on peut toujours nier le réel – encore faudrait-il avoir quelques arguments, même fallacieux, sous la main. Ici, il n’y en a aucun.

M. Malet – qui aurait du au moins lire le papier de M. Thomas – nous accuse encore de passer carrément sous silence Mounier et les personnalistes : nous lui conseillerons de se reporter au chapitre 8 de notre ouvrage, intitulé "Notre nom est personne", qui court des pp. 319 à 345.

Il nous accuse en bloc d’être fascinés par les pensées violentes d'ultra-gauche, alors que nous assénons l’inverse dans un passage dédié à Julien Coupat ; de prôner la théocratie, sans donner le moindre exemple d’un tel prône ; d’affirmer que nous considérons le pouvoir des hommes modernes comme mauvais, alors que nous affirmons tout au long du livre que c’est tout pouvoir exclusivement humain qui est mauvais, qu’il soit ancien ou moderne.

Il finit en nous accusant de simplisme quand c'est lui-même qui semble incapable de penser un troisième terme qui ne soit ni de gauche ni de droite, ni conservateur ni progressiste, son article servant uniquement à plaquer in fine l'anarchie sur la gauche.

Enfin, notre livre s'appelle L'Anarchisme chrétien, et non L'Anarchisme tout court : nous accuser de réduire toute l'anarchie à notre thèse est une grave erreur, que le seul titre de notre livre permettra de dissiper.

Nous vous remercions d’avance de bien vouloir porter ces éléments à la connaissance de vos lecteurs.

Respectueusement,

Falk van Gaver et Jacques de Guillebon