J'accorde bien volontiers que la tâche de la prostituée n'a rien de relevé. Mais n'achevez-vous pas de l'avilir en la déclarant ignominieuse sans recours et sans exception? Ici encore, c'est la morale qui, à partir d'un certain degré de réprobation sociale, rend l'immoralité incurable.

Et puis, les prostituées sont-elles les seuls êtres au monde à profaner les choses sacrées? La nutrition aussi s'apparente au sacré : le pain et le vin nourrissent l'âme à travers le corps et peuvent même devenir des signes divins : que reste-t-il de cela dans l'esprit de certains cuisiniers ou marchands d'alcool et dans celui de leurs clients? Qu'on songe donc à l'incroyable vulgarité des visages, des mimiques, des propos dans un groupe de gaillards congestionnés en train de "faire un gueuleton" ! Et je m'abstiens de parler de ceux qui prostituent l'art, la littérature ou la politique. Met-on au ban de la société un pornographe, un journaliste "valet d'opinion" comme dit Alain, ou un démagogue qui corronpt la plus haute fonction de l'homme : la consuite de la Cité? Trop heureux si on ne les gorge pas d'argent et d'honneurs! Pourquoi tant d'indulgence et de faveurs pour les putains de l'esprit et tant de rigueur pour les putains de la chair?

Gustave Thibon, Projet d'une réforme des institutions et des moeurs par rapport à la prostitution, 1959.