Le bourgeois remplace la providence de Dieu, par la Providence du Capital, la Providence par la "prévoyance". Il hait l'Eglise et l'autorité spirituelle. S'il a paru chrétien à certaines heures de son triomphe, c'est par une affreuse moquerie, espérant "faire travailler" le Dieu vivant à son idole de pourriture, et compromettre le ciel avec la banque. Mais en général il ne veut de Dieu, comme de patrie, que pour le peuple, et garde pour lui l'argent. Et dans ces temps-ci il lève le masque, et se révèle enfin tel qu'il est, l'ennemi irréconciliable de l’Église. La bourgeoisie aura tendu à avilir la race humaine en la transformant en mécanique à travail; à avilir le travail lui-même, en remplaçant les métiers, qui sont de l'art, par la lugubre besogne des fabriques; à avilir enfin l'âme de ceux qui travaillent, en ne leur laissant pas un instant pour penser à Dieu , et en les empêchant pendant longtemps de sanctifier le dimanche. (...) car puisque à ses yeux l'argent est la seule puissance, l'argent crée tout, achète tout, toutes les puissances d'autorité autres que l'argent et la force brutale doivent tomber en poussière. Il veut tout refaire à sa guise; rien n'échappe à son ambition de tout changer; il est essentiellement (dans son intérêt s'entend) révolutionnaire. Avec un instinct infaillible il va chercher pour le détruire tout ce qui rappelle Dieu. Et vidant la terre de tout ce qui porte un reflet de la lumière éternelle, son rêve est d'installer la domination sur le monde de l'universelle médiocrité.

Jacques Maritain, Lettre à Élie Roubanovitch, 4 décembre 1907.