Entretien avec Jacques de Guillebon et Falk van Gaver (2ème partie)

- Un des pères de l’anarchie reste Proudhon. La croyance dans le christianisme joua-t-elle, comme chez Proudhon, un rôle favorable à la reconnaissance d’une égalité entre les hommes, quelles que soient leur origine et leur appartenance confessionnelle ?

Proudhon reste, comme chacun, tributaire de son époque, et nous nous sommes surtout intéressés, dans le chapitre qui lui est dédié, à son rapport complexe au christianisme, suivant en cela les études lumineuses que lui ont consacré le père Henri de Lubac et Bernard Voyenne. Sa foi reste problématique de même que son antisémitisme. En tout cas, Proudhon a largement inspiré des penseurs chrétiens du XXe siècle, comme Yves Simon, ami de Jacques Maritain, et autres « non-conformistes » (Esprit, Ordre Nouveau, etc.), mais également dès le XIXe siècle et sont influence n’aura pas été négligeable sur l’émergence du christianisme social.

Le christianisme, plus que toute autre religion, a joué et joue un rôle fondamental dans la reconnaissance d’une égalité entre les hommes – et les femmes (« Dieu ne fait pas acception des personnes… »), de même que de leur liberté (des enfants de Dieu…) et de leur fraternité (le Christ est « l’aîné d’une multitude de frères… ») : il y a donc un égalitarisme, un libertarisme, un fraternitarisme, un humanitarisme chrétiens. Et la plupart des courants modernes qui se sont opposés et s’opposent à lui (humanisme, patriotisme, libéralisme, communisme, socialisme, démocratisme, pacifisme, écologisme, anarchisme…) sont d’une manière ou d’une autre – les idées reçues du paganisme ayant été intimement transformées par leur « baptême » – issus de lui (les fameuses « vertus chrétiennes devenues folles » de Chesterton parce que dissociées les unes des autres). D’ailleurs, signe de leur rupture fondatrice avec la source originelle, ce sont des échecs systématiques qui engendrent leur contraire : la Liberté engendre la Terreur, la démocratie le biopouvoir, etc.

Mais c’est aussi pour cela qu’il peut exister, dès que Dieu, le Christ, l’Esprit, l’Evangile et l’Eglise sont remis à leur juste place, centrale, fondamentale et fondatrice, un humanisme chrétien, un patriotisme chrétien, un « libéralisme » chrétien, un « communisme » chrétien, un socialisme chrétien, un démocratisme chrétien, un pacifisme chrétien, un écologisme chrétien, un anarchisme chrétien…, d’ailleurs non contradictoires les uns les autres, mais réalisant tous la fécondité sociale de l’Evangile – l’humanisme chrétien est aussi un patriotisme, un « libéralisme », un « communisme », un socialisme, un démocratisme, un pacifisme, un écologisme, un anarchisme… Car l’adjectif est ici essentiel, principal, principiel, il est le socle du substantif. Il ne s’agit pas d’une coloration chrétienne de doctrines extérieures – notamment antichrétiennes –, mais du développement d’un aspect social et politique du christianisme sans l’abstraire de son origine.

Propos recueillis par Nicolas Roberti

SOURCE : Unidivers 08/06/2012