De nombreux soldats venus comme volontaires depuis l'Italie, étant privés de papier, n'avaient pas été accueillis par le Commandement, mais, au lieu de s'en aller, s'étaient installés dans les grands chantiers navals de la ville. Allé là-bas, voir ce qu'ils faisaient, Keller les trouvas nus, s'amusant à plonger depuis la proue des navires immobilisés, tandis que d'autres cherchaient à faire manœuvrer de vielles locomotives qui, autrefois, reliaient Fiume à Budapest, et que d'autres encore, montés sur les grues, chantaient. Ils lui semblèrent ivres et heureux, il les fit rassembler et les passa en revue : ils étaient tous trés beaux, trés fiers, et les jugea les meilleurs soldats de Fiume. Il encadra ces soldats, que tout le monde appelait "désespérés" en raison de leur situation d'abandon, et les offrit au Commandant comme une garde personnelle. Sa décision fit scandale parmi les officiers supérieurs, mais D'Annunzio accepta l'offrande.

Avec la création de cette compagnie, Keller avait commencé à réaliser ses idées d'un nouvel ordre militaire. Une grande partie du jour, ces nouveaux soldats faisaient des exercices de natation et d'aviron, chantaient et marchaient à travers la ville torse nu et avec des pantalons courts, n'avaient pas obligation de rester cantonnés à la caserne, mais les exercices mêmes avec leur agrément les persuadaient de rester groupés, et le soir, pour se divertir, ils s'en allaient dans une localité deserte appelés La Torreta, où, répartis en deux groupes, ils entamaient de vrais combats à la grenade, et les blessés ne manquaient pas.

Giovanni Comisso, Il mie stagioni, mémoires sur l'équipée de Fiume, 1963.