Les avons-nous frappés d'interdit, les écrivains "réactionnaires" ! Nous ne voulions pas de la parole qui dessaoule : nous la redoutions tellement, en dépit de nos sarcasmes, que non contents de la caricaturer, nous en avons purgé nos bibliothèques. Entre les vrais et les faux prophètes, nous avons immanquablement choisi les faux. Un tel choix - si sûr dans l'erreur - je n'en n'accuse pas seulement les "progressistes" mais aussi les conformistes de la réaction. Les uns et les autres nous avons cessé de lire le vrai passé. Jamais époque ne fut plus coupée de ses sources : de la source. Notre culture s'étant perdue dans les sables de l'histoire, ce temps de l'Esprit Universel ne compte plus d'esprits universels. En attendant que naissent de tels esprits - et il en naîtra, car notre soif en est déchirante - pourquoi ne pas relire, à la lumière de nos erreurs, ces grands ouvriers de la Parole que nous avons systématiquement étouffés.

Pierre Emmanuel, Le diable engagé, Esprit, janvier 1957.