L'idiote superstition moderne qui contraint la plupart des hommes - au nom d'une "réalité" qui se cogne à ses apparences comme un prisonnier fou aux murs de sa cellule -, les oblige à déserter leur coeur, leur esprit et leur âme pour ne plus habiter que leur peau ; l'absurde quête, pour cette peau, d'un confort extérieur qui ne peut pas le consoler de son inconfort intérieur : voilà comment, pourquoi et quand nous nous sommes soudain arrachés à l'esprit d'enfance pour nous précipiter dans le fatal désespoir de l'adulte déçu, irrémédiablement déçu, parce que son enfance n'a rien su. Le deuil est là, indéniable : d'une génération à l'autre, tout d'un coup, nous avons atrocement mutilé l'enfance de nos enfants en cessant de leur raconter des contes, tout en veillant avec amour sur le nombre des calories et le compte des vitamines contenues dans leurs aliments, pour les jeter cruellement et le plus tôt possible dans toutes les cruautés de l'existence, armés tout au plus d'une panoplie d'astronaute.

Armel Guerne, Les contes de Grimm ou la leçon de vie in L’âme insurgée, écrits sur le romantisme, Phébus, 1977.