Une prière
Dieu, Seigneur donne-moi seulement d’être un homme
Rappelle moi ta face et mon image en toi .
Je ne veux pas mourrir comme un bœuf. J'ai le droit
de partager ta mort et ta Pâque éternelle
Étant marqué du sang du Christ. Distingue-moi
De ces brouteurs de foin trop vert et de sublime
Qui se disputent l'abreuvoir du grand abîme
Et s'encornent sous la mangeoire du haut ciel.
Parce qu'ils ont râpé l'azur d'un coup de langue
Ils croient en somnolant ruminer l'absolu.
Qu'ils se vantent d'avoir digéré tes mystères
Et changé ta nuit sainte en soleil de raison !
Ces remacheurs infatigables de tonnerre
Ils ne tolèrent pas ta rosée. Ils sont lourds
De ta limpidité qui rend légers les anges,
L'insaisissable transparence de l'amour
L'appel et le répons d'une même louange
Du ciron à l'étoile et de l'astre au ciron,
La respiration dont l'espace est le souffle
Tout être contenant le tout qui le contient
Ces goinfres n'y ont point pris garde : c'est l'essence
Du monde qui fermente et qu'ils voudraient en vain
Comprimer en crispant une Babel d'entrailles
S'ils savaient quel grisou s’amassent dans leurs flancs
Mais ils sont allongés l’œil repu de merveilles
Sur leur fumier d'indifférence et de journaux
Et si leur songe est secoué de soubresauts
Ils ont pour l'apaiser ces moulins à images
Qui leur lavent et leur délavent le cerveau
Dans un temps nul où leur néant rêve tout haut
Un monde où le sang même a perdu son langage.
En noir et blanc voici le calque de l'horreur
La mort grand couturier nous présente sa mode
Ses mannequins sont des cadavres...
Pierre Emmanuel, Nous enfants d' Hiroshima, Esprit, aout 1955.