Jacques de Guillebon réagit à un article publié fin février, dans le Journal of Medical Ethics, par Alberto Giubilini et Francesca Minerva, deux chercheurs en bio­éthique, et intitulé : « Avortement post-natal, pourquoi l'enfant devrait-il vivre ? »

« Tous les êtres hu­mains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de cons­cience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. » Chacun aura reconnu l’article premier de la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée le 10 dé­cembre 1948, à Paris.

Il paraît pourtant qu’il y a loin de la coupe aux lèvres, loin de la déclaration aux actes. Depuis près de quarante ans, on sait que le droit à la naissance de certains êtres hu­mains en devenir, parce qu’ils ne sont pas encore considérés comme des personnes ou des individus à part entière, n’est, de fait, pas reconnu. On sait aussi que depuis vingt ans, la pression est violente dans les pays occidentaux pour se donner la possibilité d’achever certaines existences que la souffrance qui les étreint rendrait indi­gnes. Il y a maintenant bien plus, en tout cas dans le domaine de la théorie : deux chercheurs, italien et australien, publient dans le Journal of Medical Ethics une froide étude, relayée par la Conférence des évêques de France, dé­montrant qu’il est tout à fait possible d’appliquer rationnellement la justification courante de l’avortement in utero à ce qu’ils nomment par antiphrase « l’avortement post­natal ».

SUPPRIMER LA VIE

Sorte de convergence entre argumentaires pro-euthanasique et pro-avortement, cette pensée encore abstraite con­firme ce que l’on savait déjà : qu’il est possible de justifier la suppression d’une vie si l’on juge subjectivement qu’elle n’est pas di­gne d’être vécue, et pour ce que la souffrance qu’elle porte en elle est intolérable, et pour ce que la société, au premier chef les géniteurs, ne pourrait la supporter.

Ainsi, si une maladie qui aurait de facto entraîné une IVG, comme la trisomie 21, n’a pas été détectée dans le ventre de la mère, il n’est pas impensable d’envisager que l’on puisse, un jour, couper court en toute légalité à la destinée du nouveau-né, lequel se trouverait alors réduit au statut de non-personne hu­maine, à l’égal de l’embryon et du fœtus.

Cette mé­thode se pratique déjà depuis 2004 aux Pays-Bas (pour des cas médicaux autrement plus graves que la trisomie 21) : elle porte le doux nom de « protocole de Groningue ». Selon le professeur Roger Gil, du pôle de vigilance éthique du diocèse de Poitiers, le nouveau paradigme nécessaire à la décision que l’on est en présence d’une personne humaine « entière » est l’évaluation de sa capacité relationnelle, interne et vis-à-vis du reste de la société. Si cet être ne donne pas de signe satisfaisant de conscience de soi, et si la société estime qu’elle ne peut supporter sa charge, la possibilité existe de nier son humanité et, partant, de s’en débarrasser comme d’un poids mort.

On voit quel usage contradictoire peut être fait de la deu­xième phrase de l’article premier de la Déclaration : qui n’est pas doué de raison et de conscience, ap­parem­ment, peut être ex­clu de l’espèce humaine. Pour ce qui est d’agir avec les autres dans un esprit de fraternité, on repassera.

On mesure ici le danger toujours nouveau de l’abord exclusivement scientifique de la vie en général et de la vie hu­maine en particulier : tout statut on­tologique étant dénié par la convergence de diagnostics techniques, il devient impossible d’envisager quelque rapport « hu­main » avec ces personnes, qui sont certes des poids, mais des poids vivants.

Jacques de Guillebon

SOURCE : Témoignage Chrétien

http://www.temoignagechretien.fr/ARTICLES/Divers/Article-en-solde/Default-56-3677.xhtml