Le tort de Rousseau et de ses contemporains est d'avoir essayé de reconstituer par le discours l'unité que la foi chrétienne avait détruite dans leur coeur : l'homme bon, rationnel et abstrait du Contrat social est la réplique du pécheur vivant des confessions. Ils ne pouvaient aboutir qu'à un "sentiment de la nature" et à un panthéisme vague, comme celui de Hugo, qui fait de la nature, contre toute évidence, la mère charitable et bienveillante de l'homme. Ne pas avoir accepté le paradoxe de la nature, son lien dans la tension avec la liberté et l'individu, les a conduits à déchainer leur contradiction. Ainsi l'amour et la haine de la nature ont pu se développer parallèlement dans le coeur de l'individu moderne. Aussi, sous prétexte de la libérer, accepte-t-il de la détruire.

Bernard Charbonneau, Le jardin de Babylone, Gallimard, 1969.