Ce qui me fascina d'abord quand je rencontrai pour la première fois Georges Bernanos, ce furent ses yeux d'un bleu que je n'avais jamais vu et que je n'ai jamais revu, ce fut son regard. Regard direct, sincère, perçant, lumineux, un regard qu'on ne pouvait pas oublier. Puis on l'écoutait, déjà fasciné. Une voix de tonnerre mais une voix chaude, amicale, une voix qui éveillait les échos. Et son rire. Un rire de géant. Un rire irrésistible et contagieux. ... Il était, je le savais déjà, catholique militant, provocant, d'Action française. J'étais prêt à le détester. Et réciproquement. J'étais athée et d'extrême-gauche. À désespérer. Pourtant, immédiatement, nous sympathisâmes. Et je sais pourquoi. Nous étions tous les deux, et d'abord, anticonformistes. .... Il n'est pas mort pour moi. Je n'ai jamais cessé de penser à lui. Il est demeuré mon ami. Et bien souvent, en apprenant ce qui se passe dans le monde et tout près de nous, je me pose cette question: "Qu'aurait dit Georges Bernanos ? "

Philippe Soupault, Profils perdus,Le mercure de France, 1963.