Cher Peter Maurin,

Comment pourrais je vous dire à quel point j'ai été touché en trouvant, lorsque je suis entré dans ma cabine, le paquet que vous y avez laissé pour moi. Je ne sais ce qu'il y a dedans (je veux laisser le plaisir de la découverte à mon épouse), mais je sais que c'est le cadeau de la charité fraternelle et de l'amitié. Voulez vous donc remercie, de ma part et de tout cœur, Margaret, la cuisinière du Catholic Worker, et lui dire qu'elle m'a fait grand plaisir.

Dites aussi à Dorothy Day combien j'ai été heureux de lui rendre visite, et ému de l’accueil que m'ont fait vos amis. J'aurais souhaité pouvoir dire tout ce qui était dans mon cœur, - jamais je n'ai été aussi mortifié de mon incapacité à parler couramment l'anglais. Il me semblait avoir retrouvé au Catholic Worker un peu de l'athmosphére de la boutique de Péguy , rue de la Sorbonne. Et tant de bonne volonté, un tel courage, une telle générosité ! C'est ainsi qu'avec de maigres moyens et un grand amour le futur auquel nous aspirons ardemment se prépare.

Je garde l'impression de ne pas avoir été tout à fait clair à propos de l'État pluraliste, lorsque j'ai répondu à l'explication que vous en donnez. Je tiens à préciser qu'un tel État, avec sa fédération de structures juridiques diverses, ne se réduirait pas à un simple agrégat mais qu'il devrait avoir une réelle unité morale d'orientation. et il mériterait le nom de chrétien parce qu'il tiendrait, de façon positive, à travers ses différentes structures, à un idéal chrétien intégral. Au lieu d’être polarisé par une conception matérialiste du monde et de la vie, comme l'État capitaliste ou l'État communiste, il serait polarisé par la prise en considération de la dignité spirituelle de la personne humaine et sur l'amour qui lui est dû.

Merci encore à Dorothy Day, à Ade Bethune et à Margaret. Et soyez assuré de ma gratitude à votre égard, cher Peter.

Pourquoi vous êtes vous sauvé après avoir déposé le paquet à bord ? J'avais espéré vous voir à nouveau sur l'Aquitania.

Prions l'un pour l'autre.

Cordialement vôtre en Christ Jésus.

Jacques Maritain

The Catholic Worker, n° 7, décembre 1934.