Le châtiment du ciel s’abat à nouveau sur la Grèce : oh, ce ciel n’est certainement pas le nôtre, celui de Dieu, pas plus qu’il n’est encore celui des Atrides, ni celui de la Sublime Porte. Ce ciel est celui d’azur sur qui l’on a, suprême ironie, ou magnifique blasphème, imprimé les douze étoiles de la Vierge de l’apocalypse, c’est le ciel de l’Union européenne phagocytée par l’à nouveau puissante Germanie, c’est le ciel du FMI, des banquiers et des agences de notation. C’est le ciel de Mammon qui se couvre pudiquement des nuages de l’autorité, du pouvoir et de la rationalité. C’est le ciel des créanciers, le ciel du compteur d’astres du Petit Prince qui sait que les étoiles sont à lui parce que le premier il les a dénombrées sur les petits papiers qu’il range dans son bureau ; c’est le ciel de cette banque qui, comme l’intendant de l’évangile à qui son maître a remis sa lourde dette, s’acharne en retour sur le pauvre qui lui doit cinq sous. C’est le ciel du déshonneur de la finance, du déshonneur de l’Europe et de l’occident tout entier qui regardent, l’œil glauquement vide, les puissants dépouiller une nouvelle fois leur petite sœur non seulement sans réagir mais en prêtant même la main au larcin.
A celui qui n’a rien, on enlèvera même ce qu’il a : oui vraiment, on dirait que la terre de Socrate, de Praxitèle et d’Alexandre subit le foudre divin. Il ne faut oublier que Zeus rend fous ceux qu’il veut perdre, et que les fous ici sont ces gouvernements coalisés par la peur qui croient sauver encore leur peau en vendant la dépouille du plus petit. Le sort tomba sur le plus jeune, comme dans la chanson. Le sort tomba sur lui, pour commencer : car le train ne s’arrêtera pas et les stations suivantes ont nom Espagne, Italie, Irlande, Portugal. Où êtes-vous George Gordon, lord Byron, et vous Trelawney ? Où sont les combattants qui tomberont pour la nouvelle guerre de libération de la Grèce ? Qui débarquera à Missolonghi, qui chantera l’épopée du petit peuple à qui l’on tient la tête contre la terre, sous une botte d’autant plus infâme que son propriétaire est sans nom ? Qui enfin rompra la nouvelle Sainte-Alliance, cette Europe du Congrès qui n’ayant plus même le christianisme pour pierre de touche n’a gardé que le vaniteux pouvoir d’un moment et l’argent pour dieux tutélaires ?
En vérité, cette Grèce dont depuis deux ans l’on a réduit la population à la misère et l’économie à rien, sans que ses déficits diminuent, sans donc que ses créanciers soient jamais rassasiés, cette Grèce dont les députés qui votent une diminution de 22% du salaire minimum quand ils sont eux-mêmes les mieux payés d’Europe sera la pierre de scandale qui fera chuter cette post-civilisation de la marchandise que M. Guéant nous assure supérieure. Le règne de Nicolas Sarkozy qui touche certainement à sa fin nous ramène à la situation de 1830, quand tout était bloqué, et François Hollande a décidément la tête de poire d’un nouveau Louis-Philippe. Il se trouvera bien quelque Guizot dans son entourage pour nous enjoindre de nous enrichir afin de ne pas penser au temps qui passe, aux pauvres qui meurent, aux peuples à qui l’on fait honte de leur existence, aux enfants dont l’on fait des monstres et aux amoureux qui ne savent pas comment s’aimer.
Où êtes-vous, pâles fantômes du passé, corsaires de Dieu, Ozanam, Proudhon, Lamennais ou Lacordaire, nous n’entendons plus votre voix claire qui indiquait le chemin dans cette forêt obscure ? Où êtes-vous, héros magnifiques de la justice et de la charité, et votre main ardente au bien, nous ne voyons plus que les ombres funestes qui dans l’onde glacée de l’écran répètent comme des mantras des formules mathématiques où se contiendrait le destin de l’homme ? Où êtes-vous, saints pasteurs qui avez laissé ce troupeau à l’errance et au précipice ? On demande des raisons de vivre.

Jacques de Guillebon, publié dans Permanences n°492-493, janvier-février 2012