Que chacun de ces simples particuliers qui se font payer, ceux justement que ces gens-là appellent des Sophistes et en qui ils voient des concurrents, ne fondent pas la culture qu’ils donnent sur d’autres maximes que celles dont la multitude fait profession les jours où elle se rassemble et fait bloc ; et c’est à cela qu’ils donnent le nom de sagesse. Exactement comme si, faisant l’élevage d’un animal de grande taille et vigoureux, on s’instruisait à fond de ses mœurs et de ses penchants ; de quel côté on doit s’approcher de lui et en quel endroit le toucher ; à quels moments il est, ou le plus difficile, ou le plus doux, et quelles sont les causes de ces différents états ; quels sons de voix il fait entendre habituellement, en relation chaque fois avec une circonstance déterminée, et quels sont ceux, inversement, qui dans une bouche l’apaisent ou le mettent en fureur ; et qu’ensuite, une fois instruit à fond de tout cela par le fait d’user le temps à vivre en sa compagnie, on donnerait à cela le nom de sagesse, et, comme on en aurait composé un « Art », on le convertirait en un objet d’enseignement ; tout en ignorant totalement ce qu’il y a dans ces maximes, dans ces désirs, de beau ou de vilain, de bien ou de mal, de juste ou d’injuste, on appliquerait toutes ces dénominations à ce qui a été jugé par la grande bête, appelant bonnes les choses où ladite bête trouvera du plaisir, mauvaises celles qui lui seront importunes ; incapable d’avoir, à propos de ces choses, un langage différent, on nommerait au contraire choses justes et choses belles ce qui est l’effet d’une nécessité ; quant à la différence de nature entre la nécessité et le bien, on n’en aurait point aperçu toute la réalité, et on ne serait pas capable de la faire voir à autrui. D’une personne ainsi faite, par le nom de Zeus ! ne jugeras-tu pas que c’est un singulier éducateur ?



La République, trad. Léon Robin