Tout communique et les continents n'ont plus de reliefs. Les montagnes, ces bourrelets qui procuraient contenance aux diverses tribus de la terre, on ne sait plus où elles sont. tout s'est aplati sous le vol de l'avion. Ces compartiments qui, sur toute la surface de la terre, formaient une agréable mosaique, comme des îles, ils ont fichu le camp ! C'est un mouvement de la terre, tel qu'il n'en fut jamais depuis que les hommes sont apparus : un tel mouvement à la terre, aussi grand ! Les guerres précédentes, et même la dernière, avaient un caractère somme toute local : ici il n'y a pas de nation, petite ou grande, sur toute la surface du globe, qui n'ait pas été entraînée dans le vortex d'Armageddon. Et parlez moi du tapage ! L'électricité s'en donne à coeur joie. Fulgura et voce et tonitrua. La radio heure par heure nous décharge les salves de nouvelles, à quoi se mêlent comme à Bedlam parmi des hoquets d'hommes ivres et des hurlements de démons des fragments insensés de musique et de déclamation !

Paul Claudel, Paul Claudel interroge l'apocalypse, Gallimard, 1952.