Imbéciles, ne voyez-vous pas que la civilisation des machines exige en effet de vous une discipline chaque jour plus stricte ? Elle l’exige au nom du progrès, c’est-à-dire au nom d’une conception nouvelle de la vie, imposée aux esprits par son énorme machinerie de propagande et de publicité. Imbéciles ! comprenez donc que la civilisation des machines est elle-même une machine, dont tous les mouvements doivent être de plus en plus parfaitement synchronisés ! (…) Prenez garde, imbéciles ! Parmi toutes les Techniques, il y a une technique de la discipline, et elle ne saurait se satisfaire de l’ancienne obéissance obtenue vaille que vaille par des procédés empiriques, et dont on aurait dû dire qu’elle était moins la discipline qu’une indiscipline modérée. La Technique prétendra tôt ou tard former des collaborateurs acquis corps et âme à son Principe, c’est-à-dire qui accepteront sans discussion inutile sa conception de l’ordre, de la vie, ses Raisons de Vivre. Dans un monde tout entier voué à l’Efficience, au Rendement, n’importe-t-il pas que chaque citoyen, dès sa naissance, soit consacré aux mêmes dieux ? (…) l’Etat technique n’aura demain qu’un seul ennemi : « l’homme qui ne fait pas comme tout le monde » - ou encore : « l’homme qui a du temps à perdre » - ou plus simplement si vous voulez : « l’homme qui croit à autre chose que la Technique ».

Georges Bernanos, La France contre les robots, 1945.